Misplaced Childhood

Par

(5 sur 5) / EMI
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Rock Progressif

S’il est un album que tout amateur de rock progressif se doit d’écouter (et de posséder) afin de comprendre la renaissance du genre dans les années 80, c’est bien « Misplaced Childhood » car, en  plus d’être un formidable hommage aux pères fondateurs du progressif, ce disque ouvre les portes du futur à un genre jusqu’alors moribond.

Après le demi succès de « Fugazi », les musiciens sont à deux doigts de la faillite et la tournée de promotion de l’album qui passe par l’Eldorado de Paris en mai 84 et durant laquelle ils testent déjà le triptyque « Pseudo Silk Kimono », « Kayleigh », « Lavender » dans des versions inachevées, ainsi que la pression mise sur leurs épaules par EMI, leur maison de disque, les met physiquement à genou. Pourtant, non contente de les avoir fait tourner sans relâche, celle-ci exige un nouvel album à peine les musiciens revenus de tournée, sans même leur accorder le repos qu’ils ont pourtant bien mérité.

Puisque le prochain disque est en quelque sorte celui de la dernière chance, le quintet qui estime maintenant n’avoir rien à perdre se lance immédiatement dans la composition d’une œuvre monumentale, ambitieuse et très risquée, à savoir un concept album lancé comme un pied de nez à leurs détracteurs qui depuis le début de leur carrière les accusent de plagier leurs ainés (et plus particulièrement Genesis) ou de n’être une bande de musiciens prétentieux et pompeux.

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Il est peu probable qu’ils s’attendent alors au succès phénoménal que va rencontrer l’album qui, dès sa sortie propulse Marillion au sommet des charts un peu partout dans le monde grâce notamment au titre « Kayleigh » qui atteint la deuxième place des charts Britanniques et Français, du  jamais vu pour un groupe de progressif. Il serait toutefois injuste de réduire le succès du disque aux trois minutes trente de « Kayleigh ». « Misplaced Childhood » n’est pas l’album d’un tube, il regorge de morceaux intelligemment construits, sur lesquels Fish nous fais partager en termes poétiques ses regrets, ses doutes, ses questionnements sur la perte de l’innocence, le passage à l’âge adulte, le succès ou encore la solitude.

Si les textes très personnels du poisson et l’émotion palpable dans sa manière de les interpréter participent pour une large part à la grandeur de cette galette, que serait ces mots sans la finesse des nappes de claviers de Mark Kelly qui dès les premières secondes de « Pseudo Silk Kimono » installent une atmosphère sombre et mélancolique qui ne s’estompe que par moment pour laisser place à un léger rai de lumière ? Sans les interventions à la guitare de Steve Rothery (probablement un des guitaristes les plus sous-estimé du rock) qui parsèment ce disque, tantôt subtiles, tantôt fulgurantes mais toujours captivantes ? Sans la basse de Pete Trewavas et la batterie de Ian Mosley arrivé peu de temps auparavant qui offrent tous deux une ossature en béton armé à l’ensemble ?

Marillion a enfin trouvé un son bien à lui, mais laisse toutefois de la place aux influences des géants du passé même si elles se font plus discrètes, mais c’est en troquant le coté « hard » développé sur « Fugazi » contre des sonorités aux accents plus « pop » typique des années 80 que le groupe donne aux titres une accessibilité qui manquait auparavant au prog pour séduire l’oreille de l’auditeur lambda, tout en conservant ses caractéristiques.

De « Pseudo Silk Kimono » à « White Feather », chaque élément, chaque note, chaque mot, chaque silence est à sa place sur cet album essentiel, les titres s’enchainent avec une étonnante fluidité, n’offrant à l’auditeur que le temps de retourner le vinyl (nous sommes en 85) pour reprendre son souffle avant de se replonger dans une face B aussi réussie que la face A. Deux faces pour un seul titre au long duquel Marillion nous invite à sa suite dans un tourbillon d’émotions, passant de la joie à la peine, de la dépression à l’optimisme, de la douceur à la rage avec un naturel déconcertant.

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« Misplaced Childhood » forme un ensemble parfait mêlant le rock énergique (« Waterhole », « Heart of Lothian »), les balades (« Kayleigh », « Lavender »), les passages planants (« Pseudo Silk Kimono », « Brief Encounter ») et même un bref détour par le jazz rock (« Brief Encounter » ), le tout produit de main de maitre par Chris Kimsey qui a su capter l’essence de la musique du groupe et apporte, par une production magistrale, une dimension supplémentaire à un groupe alors au sommet de sa gloire.

Si cet album élève Marillion au rang de stars, les dissensions apparues à l’époque de « Fugazi » dues au rythme effréné album/tournée, aux frustrations, aux divergences par rapport aux méthodes de travail, commencent à devenir intenables. Celles-ci mèneront, quelques années plus tard , Fish et le reste du groupe à adopter des chemins différents, mais ça, c’est une autre histoire.

« Misplaced Childhood » reste le témoin de la renaissance de tout un genre et d’une époque bénie pour tout amateur de progressif et reste un des chefs-d’œuvre majeur du groupe et du rock progressif.

Intemporel, rien de moins !

Formation du groupe

Fish : chant - Mark Kelly : claviers - Ian Mosley : batterie - Steve Rothery : guitare - Pete Trewavas : basse

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