Trespass

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(5 sur 5) / Charisma
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Rock Progressif Rock Symphonique

Tant qu’à écrire des chroniques pour la rubrique dite rétro de ProgCritique, autant puiser dans ma collection de vinyles de l’époque. Et puis tant qu’à parler de Genesis, autant commencer par le commencement. En fait pas tout à fait car en mars 69, « From Genesis To Revelation » est publié chez Decca. Genèse ? oui, par définition. Revélation ? Euh, pas vraiment … N’est pas les Bee Gees qui veut, et les aimables bluettes un peu niaises présentées par le groupe n’auront pas un grand destin. Mais surtout rien ici ne préfigure la somptuosité symphonique à venir.

Dire que « Trespass » est un tournant dans la discographie du groupe est un doux euphémisme, c’est carrément un saut dans la quatrième dimension ! Après l’été 69, un gros boulot d’écriture et de répétition, de nombreux concerts et une signature chez Charisma, amène le groupe en studio à l’été 70. Cette fois Genesis est révélé. Si le quintette magique, outre Peter Gabriel, Tony Banks et Mike Rutherford est connu aussi pour abriter les non moins fameux Steve Hackett et Phil Collins, ces deux derniers ne sont pas encore de la partie puisque ce sont Anthony Phillips et John Mayhew qui tiennent respectivement guitares et batterie.

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Le charisme légendaire de la voix de Peter Gabriel est déjà très présent dès les premières notes de « Looking For Someone ». Comme dans « Supper’s Ready » quelques années plus tard, ici pas d’intro musicale et le chanteur prend immédiatement le lead, accompagné à l’orgue et à la délicate guitare à 12-cordes. Sans doute un des sommets de l’album avec « The Knife », cette première piste contient tous les ingrédients caractéristiques du GRAND Genesis : ruptures mélodiques et harmoniques, paroles souvent étranges (oserais-je dire surréalistes ?), ambiances tour à tour pastorales, lyriques ou bien mélancoliques, et surtout la fluidité des enchainements musicaux et des ambiances sonores. L’écriture musicale est un art …

Une autre belle pièce qui joue habilement sur les contrastes et les enchainements, « White Mountain » possède une coda très intéressante (à partir de 5’30) : un orgue mouvant qui se déplace lentement sur 2 accords lointains, avant l’apparition d’un étrange chœur mélancolique. Cela me fait penser à l’univers de Tolkien.

La lumière revient avec « Visions Of Angels » avec une prépondérance du piano et ses délicates arpèges. La mélodie principale n’est pas la plus originale qui soit, mais une fois de plus un excellent dosage des passages chantés et des passages instrumentaux et les contrastes entre les scènes pastorales et les passages plus lyriques sont irrésistibles. Le crescendo à partir de 2’32 est superbement amené et débouche sur un climax avec orgue et chœurs d’une grande beauté. Pour la petite histoire, cette piste avait été initialement composée pour l’album précédent. Peut-être aurions-nous eu droit à un simple enchainement classique couplets / refrain qui aurait considérablement réduit la portée de cette vision angélique. D’un thème musical un peu convenu on peut tirer beaucoup de belle musique !

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Autre belle réussite musicale, « Stagnation » nous fait poursuivre la découverte de l’étendue de la palette vocale de Peter Gabriel, du chuchotement à la déclamation. Il n’en demeure pas moins que le morceau est largement instrumental et de ce point de vue, c’est un festival. On passe alternativement de la délicatesse de la guitare à 12 cordes et du piano ou de la flûte à des moments  puissants, avec une fluidité parfaite. Et quand Gabriel lance son vibrant I want to sit down, I want a drink, on sait que Genesis vient de poser de nouvelles bases et qu’il n’y aura pas de retour en arrière.

Une vraie réussite !

Moins contrasté et moins développé « Dusk » déroule une musique mélancolique qui semble flotter entre deux mondes. Après tout le titre parle du crépuscule. Un peu de quiétude avant ce qui va suivre !

Alors qu’on pourrait penser que Genesis va rester dans ce registre de musique bucolique et contemplative, voilà que surgit sans crier gare l’étonnant « The Knife ». Si dans les pistes précédentes Genesis fait la part belle à l’héritage du folk anglais, ici la musique se fait sombre sinon violente, en se rapprochant de ce que propose un autre membre éminent de l’écurie Charisma, Van der Graaf Generator. Ici on explore le côté obscur, le champ de bataille, l’énergie brute. Le style épique à ses tous débuts ? La comparaison avec une certaine bataille du côté d’Epping Forrest est intéressante d’un point de vue musical. Bien sûr la franche bonhomie de cette dernière n’a pas sa place dans « The Knife », mais on y trouve pourtant beaucoup de similitudes, et pour sombre que soit la musique de « The Knife » quelques passages en mode majeur (1’25) arrivent à dédramatiser le propos musical. Sans crier gare mais comme toujours avec un parfait enchainement l’intermède central vient suspendre la frénésie pour un moment d’abord calme, mais dont la note de basse inlassablement répétée laisse vite comprendre à l’auditeur que cela ne va pas durer. L’excellent solo de guitare de Rutherford qui suit en est le témoin. Petit à petit on revient au thème de la première partie et encore une fois alors qu’on s’attend au paroxysme, ce thème passe de façon assez inattendue en mode majeur (8’) pour quelques mesures avant une conclusion dantesque !

Rétrospectivement il est amusant de se souvenir que d’aucuns à l’époque voyaient en ce « Trespass » qui faisait entrer de plain-pied ses auteurs dans le mouvement du rock progressif naissant, une opération commerciale opportuniste ! Pourtant il ne s’en vendra guère que 6,000 à sa sortie. Peu inspiré par la scène Anthony Phillips sera remplacé par un certain Steve Hackett et John Mayhew par Phil Collins. On connait la suite …

D’aucuns trouveront que la musique n’est pas parfaite et qu’il y a encore une marge de progrès, c’est sans doute vrai. Mais l’imposant registre vocal de Peter Gabriel, l’orgue grandiose de Tony Banks et la délicatesse du jeu de Rutherford et de Phillips, sans oublier une écriture musicale franchement novatrice, sont un enchantement. Quoi qu’il en soit, « Trespass » sonne comme un attention chefs-d’œuvre à venir ! A moins qu’il n’en soit un lui-même ?

Formation du groupe

Peter Gabriel : chant, flûte, accordéon, tambourin, grosse caisse - Anthony Phillips : guitares acoustiques 12 cordes et lead électriques, dulcimer, chœurs - Anthony Banks : orgue, piano, Mellotron, guitare, chœurs - Michael Rutherford : basse, guitares nylon & acoustique 12 cordes, violoncelle, chœurs - John Mayhew : batterie, percussions, chœurs

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Commentaires

  1. Bravo Pierre, très bonne analyse musicale, et bien insérée dans le contexte de l’époque (chronologiquement), dommage que tu ne parles pas plus des textes de Gabriel qui selon moi multiplient par deux la puissance et la portée émotionnelle de chaque morceau.
    (J’aurais plutôt dit mythologiques que « pastorales »)
    Petits b-mols pour faire chier mais bon post! J’ai appris des choses, vues d’un autre angle👍

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