Fugazi (Deluxe edition remastered)

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(5 sur 5) / Parlophone Records
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Rock Progressif

Magnifique album de *Marillion*, Fugazi est empreint d’une véritable magie et d’une vibrante poésie. Les textes de *Fish *sont d’une qualité rare, toujours complexes et mystérieux, dans le choix des formulations comme dans le propos. D’une certaine manière c’est sur *Fugazi* que le chanteur ira le plus loin avant de revenir par la suite à une plus grande simplicité dans son écriture, tout en continuant pour autant à se démarquer profondément des paroliers de son époque. On ne saurait dire si c’est le texte qui illustre la musique ou l’inverse mais une chose est certaine, l’osmose entre les deux est absolument parfaite, renforcée par le chant hautement théâtral de *Fish*.

Les compositions progressives à souhait multiplient les ambiances dans ce disque plutôt sombre ainsi que l’illustre magnifiquement l’artwork de *Mark Wilkinson*. Si « Incubus » (le morceau préféré de *Fish* de toute l’ère *Marillion*) et « Fugazi » sont à ce titre les deux pièces maîtresses de l’album, les deux mini-fresques que sont « Emerald Lies » et « She Chameleon » constituent pour moi deux joyaux mésestimés, enveloppés par un majestueux voile tout aussi énigmatique que nostalgique. D’ailleurs la première ébauche de « She Chameleon » écrite des années auparavant (et dont l’on retrouve la trace sur plusieurs *bootlegs*) mais abandonnée par le groupe au moment de l’enregistrement *Script for a jester’s tear*, portait déjà en elle cet intriguant parfum de mélancolie. En parallèle de cette dimension progressive, le groupe offre également une certaine diversité avec des titres quelque peu plus épurés tels que « Assassing » , « Punch and Judy » et « Jigsaw » , aux consonances très rock.  Et la musique prend parfois, avec réussite, une coloration hard rock comme sur le début de « Emerald Lies » . Seul regret peut-être, l’absence du morceau « Cinderella search« , titre de toute beauté écrit par la suite pour figurer en face B de « Assassing » , et qui aurait largement mérité de faire partie de *Fugazi*.

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Avec le recul *Fugazi* est également un album absolument fondamental pour *Marillion*. C’est un album de *consolidation* selon les propres mots de *Fish*. Le groupe a progressé techniquement et à ce titre, il est incontestable que l’arrivée de *Ian Mosley*, un musicien expérimenté et plus âgé que le reste du groupe, les a contraint à élever leur niveau de jeu. *Steve Rothery*, très influencé par des guitaristes tels que *Steve Hackett* ou *Andy Latimer* ( avec une approche plus mélodique que rock ou bluesy ), confie avoir enfin trouvé le son qui allait devenir sa marque de fabrique. Mais plus que tout, les musiciens ont réellement appris avec cet album, leur premier véritable effort collectif ex-nihilo, à composer et travailler ensemble. Et si *Marillion* allait devenir un « véritable groupe » avec *Misplaced Childhood* (dixit *Ian Mosley*) il est certain que sans l’étape clé décisive de *Fugazi* il n’en serait rien advenu.

Et pourtant, de l’aveu même de *Marillion*, l’album *Fugazi* paru le 12 mars 1984 ne se révèle pas à la hauteur des espérances du groupe et encore moins à celles de sa maison de disques. Sa genèse est douloureuse et, bien que *Fugazi* parvienne à se hisser jusqu’à la cinquième place des charts anglais, son niveau de ventes demeure inférieur à celui de son prédécesseur *Script for a jester’s tear* pour un budget de production qui est quasiment du double.

Les facteurs explicatifs ne manquent pas. Le remplacement de *Mike Pointer*, évincé en 1983 du groupe qu’il avait lui-même fondé, prend la forme d’un long chemin de croix. Alors que le groupe pense avoir trouvé en la personne de l’ex-Camel *Andy Ward* le batteur idéal, celui-ci leur fait défaut en pleine tournée américaine au terme d’une sérieuse dépression nerveuse. Se succèdent brièvement derrière les fûts l’anglais *John Marter* (Mr Big) puis l’américain *Jonathan Mover* avant que *Marillion* ne porte son dévolusur *Ian Mosley* (Steve Hackett), qui rejoint le groupe début 1984, initialement en tant que musicien de studio, avant d’être intégré en tant que membre à part entière au cours de l’été de cette même année.

*Marillion *se retrouve également confronté comme tant d’autres groupes, avant et après eux, au syndrome du second album. Si le groupe avait eu le temps de mûrir son premier LP, *Script for a jester’s tear*, tout au long de ses 4 premières années d’existence, il ne dispose plus d’aucune composition et doit partir d‘une page blanche avec la pression additionnelle de devoir tout boucler dans le laps de temps imparti par EMI, situation plutôt inédite.

C’est aussi la période où la relation entre *Fish* et les autres membres du groupe commence à se dégrader perceptiblement. Au-delà de centres d’intérêts de plus en plus divergents, les sources de frustration du chanteur sont multiples. La lenteur du processus créatif l’agace, lui qui disposait avant de rentrer en studio de pléthore de textes peaufinés au fil des ans dans un précieux cahier. *Fish*, qui ne se contente pas d’être parolier et chanteur, entend également imprimer sa marque sur la direction musicale de l’album. Mais ne possédant pas le vocabulaire musical
nécessaire il peine à expliquer au groupe ce qu’il attend, ce qui génère des situations d’incompréhension et renforce immanquablement le sentiment d’isolement qui l’étreint. Et pour couronner le tout, il agit parfois comme s’il était le seul maître à bord, notamment lorsqu’il annonce de son propre chef à la maison de disques que « Punch & Judy » , dont la musique n’a pas encore été écrite, sera le premier single !

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Côté production, le groupe renouvelle sa confiance à *Nick Tauber*, qui avait piloté l’enregistrement du premier album. Malheureusement, le producteur ne se révèle pas à la hauteur de l’enjeu et ne joue pas pleinement son rôle, affecté notamment par des problèmes d’ordre personnel et quelque peu distrait par l’abondance de cocaïne dans le studio. C’est *Simon Hanhart*, crédité en tant qu’ingénieur du son, qui sauve l’album du naufrage et permet au groupe de tenir le cap tant bien que mal. Et pour finir, le bouclage de l’album se fait dans l’urgence et le stress. Le mix final est réalisé dans différents studios alors que le groupe doit reprendre la route. Le groupe émet des réserves lorsqu’il le découvre dans les Parr Street studios de Liverpool. En vain, puisque ce mix leur est présenté comme définitif. La déception est grande… Le guitariste *Steve Rothery* s’interrogera longtemps à ce sujet : comment un album dont l’élaboration aura pris tant de temps peut donner à l’écoute un tel sentiment de précipitation. D’où l’intérêt du travail de remastérisation sur cette édition, au crédit d*’Andy Bradfield* et *Avril Mackintosh*, qui apporte globalement plus de clarté, plus de dynamique (sur la rythmique basse batterie) et plus de chaleur (notamment sur les parties de guitare de *Steve Rothery*) et ce, de manière encore plus évidente sur le mix 5.1 du Blu-ray. Le mix est également plus équilibré entre le chant de Fish et les parties instrumentales. Et on appréciera également la manière dont se conclut naturellement le morceau *Fugazi* en substitution du *fade out* de l’album initial.

Indépendamment du travail de remastérisation, ce coffret est aussi l’occasion de découvrir, au travers de deux documentaires, un retour sur image avec des interviews des membres du groupe couvrant toute cette période 83-84 (« The Performance has just begun ») puis une explication de textes par Fish de chacune des compos de *Fugazi *(« The story of the songs »). Cette version Deluxe nous restitue également au travers de deux CDs le concert intégral du 20 juin 1984 au Spectrum de Montréal, dont certaines parties ont été utilisées sur l’album live *Real To Reel* et qui intègre dans le set « Emerald Lies« , véritable rareté puisque ce morceau sortira rapidement du répertoire live du groupe. Et dernière belle surprise de ce coffret, le DVD d’un live enregistré pour la télévision Suisse en 1984. Sept titres précédés d’une interview backstage du combo au grand complet avec le plaisir de voir le groupe jouer live « Cinderella search » .

Un coffret absolument indispensable pour les fans du groupe.

Formation du groupe

Fish : chant - Steve Rothery : guitare - Pete Trewavas : basse - Mark Kelly : claviers - Ian Mosley : batterie - Musicien additionnel : Linda Pink : chœur sur 'Incubus' - Chris Karen : percussions

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Par Fernando Perdomo

4 sur 5

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