Après deux excellents albums (‘The Awakening’ et ‘Watching Worlds Collide’), les attentes liées au troisième album du groupe Esthesis étaient grandes. Avec ‘Out of Step’, Aurélien Goude et sa bande ne déçoivent pas et proposent un disque travaillé, ambitieux sur lequel le son du groupe se réinvente sans renier ses racines progressives. Avec ‘Watching Worlds Collide’ Esthesis avait su intégrer des influences Jazz qui collaient parfaitement à l’ambiance “Film Noir “ de l’œuvre. Sur ‘Out of Step’, le propos se fait plus sombre, les sonorités plus rugueuses, les changements plus abrupts en intégrant des éléments indus, cinématographiques, ambient, électro, jungle, trip hop, Metal, etc… Ainsi, on peut sentir la patte de quelques influences citées par le groupe pour la construction de ce disque : Nine Inch Nails, Massive Attack, The Cure, David Bowie période ‘Outside’, et bien d’autres. Théâtre d’une froideur numérique et sociale, la thématique des textes trouve sa place sans peine dans cet environnement sonore à la fois violent et hypnotique. Les 9 pièces successives sont autant de scènes d’un film ayant pour décor un urbanisme déshumanisé poussant à l’isolation, au repli sur le numérique, à la représentation permanente. Pour exprimer cette ambiance clinique, le groupe affiche une impeccable mise en place à la précision diabolique grace aux contributions d’Arnaud Nicolau (batterie), Marc Anguill (basse), Rémi Geyer (guitare), Mathilde Collet (voix), sans oublier Aurélien Goude aux claviers et compositeur de l’ensemble des titres.
Un inquiétant son d’alarme ou de sonar résonne en intro de “Connection” et nous plonge immédiatement dans l’ambiance. Un mid tempo, sur lequel s’installent de concert la basse et la batterie en parfaite “connection”, lance les hostilités. L’ensemble est complété par un riff de guitare répétitif n’hésitant pas à bousculer l’harmonie des fondamentales d’accord en accompagnement d’un chant plaintif exprimant les méfaits d’un environnement hyper connecté sur l’expression des sentiments sincères et profonds. En seconde partie, la guitare devient beaucoup plus tranchante, et le groupe fait feu de tout bois sur une rythmique à l’impressionnante complexité.
Sur “The Frame”, ce sont les accords de claviers qui créent l’anxiété, contrebalancés par une approche très mélodique du chant principal, le tout sur une rythmique impaire en 7/4. Appel à se libérer d’une routine carcérale et à sortir du cadre, le mélange voix masculine / voix féminine fonctionne particulièrement bien, et ce ne sera pas la seule fois. Le solo de guitare, très écrit, trouve naturellement sa place au milieu de cette rythmique alambiquée.
Il y a dans le disque deux instrumentaux, très Ambient, “Fractured #1 et #2” qui viennent apporter une respiration pouvant évoquer (toutes proportions gardées) les aspects instrumentaux de la trilogie Berlinoise de David Bowie.
J’ignore pourquoi, mais les percussions en introduction de “Out of Step” me font penser au titre “La Isla Bonita” de Madonna… Rassurez-vous, la suite s’éloigne largement de la bluette hispanisante de la Ciccone, en proposant un titre progressif aux accents Post Rock en forme de montagnes russes. A mi-chemin c’est un riff tranchant, violent, inattendu, qui vient rebattre les cartes de la dynamique du morceau. Le groupe est à nouveau incroyablement précis sur ce qui devrait constituer un sommet lors des futures prestations en concert.
Des sonorités teintées années 80 sur l’intro de “City Lights” (entre The Cure et The Cars) évoluent autour d’une base de trois accords. On peut mesurer ici la progression du groupe, sa maturité et sa confiance pour proposer cette escapade cinématographique hypnotique de toute beauté.
Le texte de “Circus” évoque la pression sociale, familiale et la lourdeur de la représentation permanente au travers de l’exemple d’une artiste de cirque au bord de la rupture qui doit, malgré tout, assurer le spectacle. Musicalement, la rythmique Jungle représente bien ce fragile équilibre, et le duo vocal entre Mathilde Collet et Aurélien Goude (évoquant Pure Reason Revolution) exprime une étonnante puissance, tout en n’hésitant pas par moments à simplifier les lignes vocales par des “Ta-da-da” qui font mouche.
Gros morceau de plus de 10 minutes, “The Storm” conclut le disque de manière magistrale (même si celui-ci est complété par un “bonus track” instrumental composé par l’ensemble du groupe : “Abyss”). Prenant la forme d’un voyage progressif, le titre débute sur une ambiance lourde avant d’évoluer vers un peu plus de luminosité. En poursuivant l’exploitation du duo vocal, l’impression hypnotique est renforcée par les envolées des deux chanteurs qui se complètent à merveille.
Ce n’est pas être géographiquement chauvin que de reconnaître que ce nouvel opus d’Esthesis constitue le troisième accomplissement d’un fabuleux “Hat Trick” des groupes toulousains, débuté par Slift en 2024 avec ‘Ilion’, suivi début 2025 par Bruit ≤ avec ‘The Age of Ephemerality’.
Album à la fois ambitieux et accessible, agressif et hypnotique, ‘Out of Step’ bouscule et interroge l’auditeur pour mieux l’accrocher. Une réussite totale.
Formation du groupe
Aurélien Goude : Voix, Claviers, Programmation - Arnaud Nicolau : Batterie, Programmation - Marc Anguill : Basse - Rémi Geyer : Guitare - Mathilde Collet : Voix sur “The Frame“, “Circus“ et “The Storm“
🌍 Visiter le site de Esthesis →
