Quand on démarre par un chef-d’œuvre, par quoi peut-on continuer ? C’était le défi implicitement posé à Claude Mignon et à Gérard Le Dortz après le surprenant et génial « Strinkadenn’Ys » de 2001. Double choc pour moi que ce premier opus ! Musical d’abord, parce que dès les premières mesures on est rapidement convaincu qu’on tient là quelque chose d’hautement élaboré et foisonnant, et d’une grande originalité – le mélange musique bretonne / musique progressive y est évidemment pour beaucoup. Choc plus intérieur ensuite pour le breton que je suis et qui se trouve particulièrement sensible aux résonnances intérieures qu’apporte le matériau sonore breton.
Cinq longues années avant de découvrir « Samsâra » … Mais comme j’ai eu l’occasion de le dire pour la chronique de « Strinkadenn’Ys », nos bretons sont des bâtisseurs de cathédrales (sonores), cela suppose donc du temps, de la précision, et sans doute beaucoup d’obstination ! Les plus érudits des lecteurs de ProgCritique savent déjà que Samsâra n’est pas un terme breton mais sanskrit, qui représente le cycle des souffrances et réincarnations.
Voilà donc en cette année 2006 que paraît la suite des aventures mystiques d’Enora et de Maël, qui partent en voyage. Encore ! C’est assurément ce que se sont dits les fans de Seven Reizh à l’écoute du coup de gong qui clôt « Strinkadenn’Ys ». C’est justement par cet adverbe, mais sous forme de question, que l’ami Claude lance son orchestre, mais cette fois ci dans toute la retenue d’une simple mélodie que se partagent violoncelle et trompette. Bleuwenn, l’admirable voix bretonne du premier album n’est plus de la partie, et c’est Doro.t qui devient la belle et mystérieuse Enora. Quand on pense qu’elle ne parle pas breton … quel talent ! « Soñj » nous plonge dans ce nouvel univers. « Ay Adu » affirme son influence saharienne (kabyle) avec la voix masculine, soutenue par d’étranges percussions et toute la verve des traits des puissantes cornemuses, sans parler de la guitare acoustique volontiers hispanisante.
« O Redek » est un morceau puissamment symphonique, mosaïque de sons et de styles. Un étonnant passage de piano très aérien au milieu, un déchainement de guitares et encore la puissance incroyable des cornemuses et autres bombardes. Moments plus tendres et intimistes avec les mélodieux et contemplatifs « Qim Iydi ? », « Awalik », « An Touriou » et la « Longue Marche »
« An Touriou » nous donne de plus un petit côté « Welcome To The Machine », qui plus est dans la même tonalité que le tube de 1975.
« A-raok » nous ramène sur des chemins musicaux plus sombres et escarpés, orgue et voix d’abord, dans un grand crescendo où culminera la guitare. Chemin plus contemplatif pour aller « Vers Ma Maison ». Deux intermèdes plus courts, le rugueux « All Loen » et l’inquiétant « Perdue au Loin », nous amènent vers la grande conclusion. D’abord « Kouezhan », qui symbolise la chute, ce que traduit admirablement le rythme et l’étrange accord répété à l’orgue. Le titre final « Samsâra » débute dans une atmosphère très floydienne, et puis apparaît un très beau motif piano et basse qui lance peu à peu la voix d’Enora. On termine sur un rythme ternaire et des sonorités celtiques retrouvées, et un ultime trait de percussion.
Moins directement percussif que « Strinkadenn’Ys », « Samsâra » révèle un monde plus intérieur, avec des teintes plus obscures, et demande une écoute approfondie, mais quel régal ! Cela va sans dire, « Samsâra », longue suite pour orchestre et chant, s’écoute d’un seul tenant ! Je dis bien orchestre, sinon comment qualifier la trentaine de musiciens au service d’une telle mosaïque musicale ? Orchestre d’ailleurs tout à fait éclectique et qui combine instruments « rock », instruments bretons-celtiques (maniés par les fameux « sonneurs »), cordes, bois, trompette et d’autres plus exotiques. C’est ça le son Seven Reizh, unique ! Le tout pour une fusion progressive / folk / world music parfaitement originale.
La mosaïque n’est pas que sonore, puisque le livret (livre devrais-je dire) qui accompagne l’album, signé par Gérard Le Dortz, n’est pas en reste et complète admirablement le monde musical créé par Claude Mignon. Je m’étais permis dans ma première chronique de Seven Reizh de qualifier Claude de symphoniste ! Le voilà pris en flagrant délit de récidive, et que dire des 2 albums suivants, « La Barque Ailée » (2015) et sa suite de 2018, « L’Albatros » ? Et puis nous voici en fin 2020 et en découvrant les quelques extraits et informations que l’ami Claude nous met régulièrement à disposition, il est clair que le tétraptyque va bientôt devenir pentaptyque. La future symphonie qui devrait garder ses racines bretonnes, si j’en crois mes oreilles, nous promet une nouvelle ouverture sur le monde assez étonnante !
Au-delà des mots et des descriptions forcément imparfaites, le plus simple c’est encore d’écouter et de se laisser emporter par cette vague de fond qu’est la musique de Seven Reizh !
Formation du groupe
Claude Mignon / guitare, mandoline, claviers, sampleur, narrateur, compositeur, arrangements - Gérard Le Dortz / sampler, narrateur Avec: - Farid Aït Siameur / chant - Marianne Le Dortz / chant - Doro.t / chant - Charlotte Chassang / accompagnement chant - Marine Crouzevialle / chœurs - José Larraceleta / Guitares classiques et électriques - Ronan Hilaireau / piano - Patrick Raffault / accordéon - François Pernel / harpe - Adrien Toupain / cornemuse - Erwan Le Gallic / cornemuse - Ronan Griffon / cornemuse - Meven Le Donge / cornemuse - Cyrille Bethou / bombarde - Gilles Le Guillou / bombarde - Yolande Bodiou / bombarde - Gwenhaël Mével / bombarde, sifflets - Sonia Fernandez Velasco / clarinette - Jean-Pierre Derouard / trompette - Cyrille Bonneau / flûte - Géraldine Chauvet / flûte - Monique Le Prev / violon - Annie Gaudois / violoncelle - Lucie Louis / violoncelle - Olivier Carole / basse - Philippe Savre / batterie - Thierry Soursas / batterie - Gurvan Mevel / batterie, percussions - David Rouillard / percussions - Marius Le Pourhiet / percussions - Thierry Chassang / percussions, sampler, mixage - Lionel Lefournis / timbales, batterie
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