Deux ans après le fabuleux désastre (!) de l’album précédent, le quatuor animé par le compositeur-guitariste Frédéric l’Epée, vient de sortir un nouveau collier de pas moins de 13 perles musicales, regroupées sous le simple vocable anglais Rejoice! Musique instrumentale très élaborée, le chant y est toutefois bien présent comme sur le millésime 2022, et dans ce registre on y découvre avec bonheur Carla Kihlstedt, américaine, violoniste et donc chanteuse. Le monde dans lequel nous vivons semble de plus en plus problématique (doux euphémisme) ? Qu’importe, la musique de Yang nous propose tout simplement de nous réjouir en oubliant, au moins le temps d’une écoute, le côté obscur.
Et bien pour ce faire pourquoi ne pas commence dans la pure jubilation ? L’ébouriffant « Step Inside », transcendé par la guitare virtuose et véloce de Frédéric l’Epée, dont on connait par ailleurs l’amour pour les rythmes complexes dont il se joue avec maestria (et les autres avec lui), est au bout du compte une ode à sortir de soi et à bondir hors des carcans, même si le titre fait dans l’introspection ! « La Quatrième Mort/La Vie Lumineuse », une calme balade en deux parties, nous permet de faire connaissance avec la voix fluette et très aérienne de Carla Kihlstedt.
Sur « Concretion », une longue intro à la guitare nous amène peu à peu sur un motif plus nerveux à la section rythmique, un peu sombre, mais sans cesse survolé par le chant de la guitare et entrecoupé de passages plus calmes aux belles harmonies. Une autre balade acoustique, « Get Lost », donne à entendre la voix plus grave de Laurent James, tandis que le refrain avec chœurs donne à l’ensemble un air de cantique. Sons déstructurés en intro, débouchant sur une marche lente, donnent à « Fire and Ashes » une atmosphère lourde et lugubre, à peine éclaircie par le chant haut perchée de la chanteuse. « Entanglement », enchevêtrement ou intrication quantique pour les férus de la mécanique du même nom, est un des morceaux les plus puissants de l’album, avec son rythme ternaire hypnotique. A noter le chant d’abord en français, puis en anglais. La musique répétitive, toujours très présente dans la musique de Yang, nous vaut ici un instrumental, « Light as a Cloud », dans lequel Frédéric l’Epée démontre une fois de plus toute la science d’écriture, bien secondé par la technique sans faille des instrumentistes.
La piste-titre nous offre une fois de plus les mélismes guitaristiques de L’Epée, avant de lancer un chant aux sonorités crimsoniennes. Cette injonction à la réjouissance demeure assez étrange et oscille entre ombre et lumière sans jamais basculer franchement d’un côté ou de l’autre. « Berceuse for the Guilty », un beau moment de poésie musicale, propose de nouveau un nouvel enchevêtrement de mots français et anglais.
« Strange Particles » tient clairement du jazz / fusion contemporain, traité en véritable contrepoint ou chaque ligne musicale semble d’égale importance, et le résultat est rien moins qu’un véritable enchantement ! « Surrender » revient au style jubilatoire du début d’album. Nouveau rythme complexe et syncopé à la guitare pour lancer « We are Heralds », une sorte de cantique jazz-rock lumineux et aérien. Place au final de ces réjouissances musicales avec « The Final Day », un impressionnant point d’orgue qui réassemble sur plus de 11’ le mécano sonore précédent. Difficile de faire plus poétique que l’entrée en matière en duo guitare / voix, le tout en mode majeur. Le basculement soudain du trait de guitare en tonalité mineure altère quel peu la luminosité. Ce n’est que partie remise, et la deuxième entrée du chant poursuit l’ode à la lumière, jusqu’à une nouvelle alternance tonale. A la moitié du morceau, la musique devient plus puissante et carrément débridée, jusqu’à une longue coda qui va decrescendo, ultime moment pour le guitariste d’élaborer arpèges et accords harmonieux.
Décrire la musique de Yang n’est pas chose aisée. Si Frédéric l’Epée y démontre l’étendue de sa technique guitaristique, et son incroyable agilité à défier les rythmes complexes, c’est bien sa science de l’écriture musicale qu’il faut louer dans Rejoice! (*), et plus généralement dans l’ensemble de son œuvre. Quelque part entre Robert Fripp et Django Reinhardt, il a développé un style de jeu assez unique, et ses compositions sont très éclectiques (rock progressif / musique expérimentale / post-rock / jazz-rock). Cette démarche musicale originale en diable, je serais tenté de la rapprocher de celle d’un autre grand créateur français, Jean-Paul Prat.
Yang et ses quatre musiciens (dont Laurent James, Nico Gomez, et Volodia Brice), sans oublier Carla Kihlstedt dont la voix offre ici un indéniable supplément d’âme à une musique qui en était déjà bien pourvue, réalisent avec Rejoice! une œuvre en tous points inspirante !
(*) https://cuneiformrecords.bandcamp.com/album/rejoice
Formation du groupe
Frédéric L'Epée : guitares, claviers, chœurs - Laurent James : guitares, voix, chœurs - Nico Gomez : basse, chœurs - Volodia Brice : batterie - avec : Carla Kihlstedt : voix, chœurs