Les inclusions de passages de musique dite classique dans le rock / rock progressif sont nombreuses, De la simple et courte citation à l’adaptation d’un mouvement ou d’une œuvre entière, l’histoire du rock est jalonnée de tentatives plus ou moins réussies ou abouties. Il n’est pas chose aisée d’adapter une musique classique à des instruments souvent très éloignés de ce qu’avait imaginé le compositeur. Cela n’a rien de nouveau, par exemple Bach a transcrit pour orgue ou clavecin grand nombre de concertos pour orchestre de chambre de Vivaldi, en y modifiant parfois sensiblement la partition d’origine, et en leur donnant finalement une toute autre couleur. On fait souvent ce reproche global au rock progressif d’être pompeux, alors que dire de la musique classique directement jouée par des musiciens de rock ! Un groupe tel ELP (en fait Keith Emerson), s’était même fait une spécialité de transcrire et rejouer des morceaux classiques. J’avoue avoir été peu séduit par le résultat, non pas parce que je considère que la musique classique serait un territoire « sacré » qu’on ne saurait profaner de la sorte, mais plutôt que, très pragmatiquement, la chose ne m’apportait pas de bénéfice musical. C’est un point de vue totalement subjectif, évidemment.
Tout ce long laïus pour expliquer mon scepticisme mais aussi ma curiosité quand j’ai découvert l’album d’un trio américain (Steve Carlisle, Dave Kloss, Ritchie DeCarlo), totalement inconnu de moi, qui se lance dans rien de moins que d’interpréter l’intégralité des Planètes, la célébrissime suite symphonique du britannique Gustav Holst. A mon sens, ce poème symphonique en 7 tableaux est un des grands chefs d’œuvre de la musique moderne, que ce soit dans la noblesse de l’écriture musicale ou dans son orchestration éblouissante. Par ailleurs, interpréter une partition aussi virtuose nécessite des musiciens au top de la technique instrumentale. Outre la version originale pour orchestre symphonique, je connais aussi quelques transcriptions pour grand orgue particulièrement réussies, il faut dire que l’instrument dispose de la richesse dynamique et de timbres demandées par cette musique exigeante.
Après un premier album de rock progressif conventionnel oserais-je dire, One Now Ago se lance donc dans la gageure d’une transcription inhabituelle mais particulièrement intéressante !
« Mars, The Bringer of War » est sans doute la pièce la plus iconique et la plus connue du corpus. Ecrite juste avant le début de la Première Guerre Mondiale, son rythme guerrier à 5 temps en ostinato est inoubliable. Ce rythme, quand ce n’est pas le morceau en entier a été repris de nombreuses fois, je me bornerai à mentionner ici King Crimson (« The Devil’s Triangle » sur l’album In The Wake of Poseidon), et Emerson, Lake and Powell (dernier morceau de l’album éponyme). C’est sans doute dans cette pièce introductive que l’amplitude dynamique de la musique de Holst est la plus nécessaire (la partition indique un quadruple fortissimo à un moment !) et le sentiment de férocité le plus difficile à restituer. La version proposée ici est de fait plus sage, malgré tout ça passe très bien.
Le contraste sonore ne pouvait être plus grande entre la rage absolue du 1er tableau et « Venus, The Bringer of Peace », que le trio interprète en style balade. « Mercury, The Winged Messenger » est très exigeant en raison de son tempo très rapide et de ses brisures rythmiques. Personnellement je n’aurais pas utilisé la batterie dans la majeure partie de cette courte pièce pour garder le sentiment de fluidité absolue de cette pièce. Par contre les percussions tribales de la fin sont bien vues.
Place à la jubilation grandiose de « Jupiter, The Bringer of Jollity », une autre des pièces les plus célèbres de la suite et également techniquement très exigeante. Tout le monde connaît sans doute le fameux thème central que l’usage a dénommé Hymne de Jupiter, véritable cantique choral, traité ici dans un style moins grandiose que l’original. Bravo aux musiciens pour cette belle performance sur une musique d’une densité extrême, et ça n’est pas terminé !
« Saturn, The Bringer of Old Age » est un des mes favoris, oscillant entre le sombre et le grandiose. La vieillesse approche inéluctablement, tandis que la jeunesse disparait peu à peu. Le passage central en forme de marche lente et inexorable est ici très bien restitué. La jeunesse tente bien quelques éclats sporadiques, mais l’apaisement du grand âge prend le dessus dans un superbe final aérien.
« Uranus, The Magician » est à Gustav Holst ce que l’Apprenti Sorcier est à Paul Dukas. Le côté cinématographique de cet étonnant scherzo est une nouvelle fois parfaitement rendu par notre trio de virtuoses. Irrésistible !
« Neptune, The Mystic », est une véritable musique de l’au-delà, céleste et désincarnée, très différente des thèmes bien affirmés et descriptif des pièces qui précèdent. L’impressionnisme succède à l’expressionisme. Les étranges harmonies oscillantes et légèrement dissonantes se résolvent soudain avec l’apparition d’un chœur de voix féminines, restitué ici au synthé, qui se perd dans l’infini cosmique … Moment magique.
Transcrire et jouer l’imposante suite orchestrale de Holst en l’adaptant aux instruments du rock relève d’un pari audacieux, voire risqué. Pour ce qui me concerne, je trouve le travail de One Now Ago assez impressionnant et l’esprit très cinématographique de la musique bien restitué. Voilà qui a balayé mes réticences exprimées plus haut. De l’avis des musiciens, il s’est agit d’un projet amusant et extrêmement stimulant, on les croit sans peine ! Nul doute qu’il y aussi un travail considérable pour mettre tout cela en place. Il ne vous reste plus qu’à découvrir ces Planets (*), franchement le voyage en vaut la peine !
(*) https://onenowago.bandcamp.com/album/the-planets
Formation du groupe
STEVE CARLISLE: guitares, synthés, mandoline, flûte - DAVE KLOSS : basses, chapman stick, Synth Pedals - RITCHIE DeCARLO : batterie, tambourin, timbales, synthés
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Greetings Pierre !!
Thanks for the nice review of the Planets project. It was indeed a challenging endeavor, but well worth the year of effort. Although it may not be everyone’s cup of tea, the listeners that do get it, will hopefully appreciate our vision of Gus’s work. Thanks again for the kind words…
Regards,
Dave Kloss