tRKproject est le projet de Ryszard Kramarski, compositeur, claviériste et leader du célèbre et très prolifique groupe polonais Millenium, et également résident de la très belle ville de Cracovie sur les berges de la Vistule. Autant je suis fan de Millenium (et du prog polonais en général), autant je suis joyeusement passé à côté du tRKproject, dont le « Kay & Gerda » de 2020 avait recueilli la note maximale à ProgCritique. Me voilà donc avec entre les mains ce « Books That End In Tears », dont je découvre les 4 pistes qui traitent d’autant de livres célèbres dont les univers dystopiques ont assez peu à voir avec le théâtre de boulevard et la littérature comique en général. En toute cohérence avec le propos littéraire, on s’attend de prime abord à une musique plutôt âpre et désabusée.
tRKproject possède une originalité unique à ma connaissance et déjà à l’œuvre sur l’album précédent, à savoir l’utilisation d’un duo vocal dans une configuration assez étonnante : Karolina Leszko et Dawid Lewandowski expriment chacun leur tour leurs qualités vocales sur un CD en propre.
Le premier ouvrage à l’honneur est Sa Majesté des mouches (« Lord Of The Flies »), qui désigne Belzébuth, un des princes des enfers. Ecrit par le britannique William Golding, publié en 1954, l’histoire se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale et met en scène un groupe d’enfants qui débarque accidentellement sur une île déserte du Pacifique. Musicalement, on démarre sur des synthés brumeux et une guitare assez floydienne et du plus bel effet. Après une belle partie vocale, un passage central instrumental plus puissant et rythmé se met en place, avant un passage parlé et un dernier passage chanté parlant de la mort d’un des protagonistes, Piggy. La piste se termine sur un ultime accord de piano suspendu et non résolu.
Kafka fait partie des écrivains que j’ai adoré découvrir quand j’étais étudiant : aucune violence (si ce n’est psychologique) mais le triomphe de l’absurdité portée à son plus haut degré. Le Procès (« The Trial ») dont il est question sur cette deuxième piste, constitue avec Le Château, deux romans posthumes du pragois et assurément deux chefs d’œuvre de la littérature. Un beau matin Joseph K est accusé et arrêté … et on ne saura jamais pourquoi (Joseph K non plus), sauf que l’affaire est évidemment très grave… La musique démarre de façon assez volontaire, sur un 4 temps bien rythmé, puis se poursuit avec un chant entrecoupé de solos de guitare, qui a somme toute un certain allant, voire une bonhomie. On fait la connaissance de Mister K. L’attente du procès fait appel à une musique et à un chant nettement plus désabusés, traduisant bien l’absurde de la situation. Pour la fin tragique, retour au thème musical initial : Mr. K finira ses jours sommairement exécuté dans une carrière (Dying like a dog …).
On ne présente évidemment plus le 1984 de George Orwell. Décor : 30 ans après une guerre nucléaire sous un régime totalitaire… Le « 1984 » de tRKproject est évidemment sombre et les incantations Big brother is watching you en rajoutent une couche … La musique évolue sur un tempo plutôt lent et l’atmosphère musicale est oppressante, sans parler du solo de guitare vers 6’ assez déchirant avec son côté blues. Une accélération de tempo nous propulse vers la Pièce 101, la fameuse salle de torture psychologique. A noter l’intéressant roulement de batterie qui impulse une nouvelle dynamique à la musique. On peut y trouver là quelques réminiscences de « The Wall ».
Si vous n’êtes pas tout à fait déprimés à ce stade, passons à la dernière piste « Animal Farm », toujours d’après Orwell (livre écrit quelques années avant 1984). Je ne qualifierai pas la musique de cette ultime piste de lumineuse, mais elle apparaît plus détendue que les précédentes. Quelques incursions en mode majeur, le style « ballade » adopté, quelques passages à la guitare acoustique, en particulier à la fin nous emmène vers un certain optimisme ! Et oui, les révolutions ne conduisent qu’à un changement de maîtres, et si tous les animaux sont égaux, certains sont plus égaux que d’autres…(*)
Au-delà du propos littéraire sur lequel s’appuie cet album et qui conditionne évidemment l’atmosphère musicale globale, tRKproject nous offre un prog de qualité avec de belles envolées floydiennes et marillionesques, le tout sur une bonne base rythmique et les beaux solos de guitare de Marcin Kruczek, et évidemment les claviers parfaitement bien dosés de Ryszard Kramarski. Intéressant également d’entendre les 2 versions de chaque morceau avec les approches vocales forcément différentes de Karolina Leszko et de Dawid Lewandowski. A titre personnel, j’ai globalement trouvé que la voix de Dawid collait mieux au style musical, sauf dans la dernière piste où c’est le contraire, tout cela exprimé avec la plus totale subjectivité de ma part ! En tous cas un beau travail de Ryszard Kramarski, qui évite habilement toute sensiblerie ou effets de pleurnicherie, pour ne conserver qu’une musique certes mélancolique, mais très fluide à l’écoute. Cet album vous donnera peut-être l’envie de lire ou de relire l’un ou l’autre de ces chefs d’œuvre de la littérature d’anticipation, et/ou plus simplement de découvrir les autres travaux musicaux du tRKproject !
(*) Vous avez 2 heures pour traiter le sujet, je ramasserai les copies à la fin.
Formation du groupe
Ryszard Kramarski (Millenium) - claviers, guitares acoustiques - Marcin Kruczek (Moonrise, Nemesis, Hipgnosis) - guitares - Grzegorz Fieber (Loonypark, Padre) - batterie, percussions - Krzysztof Wyrwa (Millenium, Metus, Jerzy Antczak / Georgius) - basse - Karolina Leszko - Chant - David Lewandowski (Fizbers) - Chant -
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