Le parti pris.
La réussite d’un projet artistique, musical par exemple, est souvent une affaire de parti pris. Cette orientation, choisie délibérément à un moment précis de la phase créative, peut parfois être en opposition avec ce qui est considéré comme étant les attentes d’un public large, ou bien en total contraste avec les réalisations précédentes. Il n’est pourtant pas rare de trouver cette propension parmi les plus grands musiciens, à commencer par ceux qu’on appelle communément les “artistes caméléons” capables de surprendre (ou dérouter, selon) leur auditoire à chaque nouvelle réalisation. Parmi les exemples les plus évidents, on peut bien entendu citer David Bowie, Prince, Miles Davis, et bien d’autres. Vous remarquerez que c’est souvent une affaire d’artiste solo, car il est évidemment bien plus compliqué d’embarquer un groupe complet dans cet engrenage de perpétuel changement. Cela ne signifie aucunement que le succès, la notoriété soient inaccessibles à ceux qui ont choisi une autre voie (coucou AC/DC, pour ne citer qu’un exemple).
Bon, c’est bien beau tout ça, mais on est là pour parler du dernier album en date de Tim Bowness, ‘Powder Dry’. Il serait bien entendu injuste de réduire cet artiste au rôle de fidèle compagnon de Steven Wilson, que ce soit dans la musique, les podcasts, les vidéos YouTube, les private jokes britanniques inaccessibles aux “Froggies” que nous sommes, et bien d’autres activités encore… Donc, dorénavant rattaché à l’écurie Kscope, Tim Bowness a choisi sur ce nouvel album de respecter un parti pris fort (du moins, c’est ainsi que je l’interprète) : des titres courts (presque tous sous les 3 minutes), une instrumentation très dépouillée que l’on pourrait même qualifier de minimaliste parfois, une utilisation extensive d’instruments synthétiques/électroniques, un seul interprète pour tout : Tim lui même, épaulé par son pote Steven Wilson derrière la console et au mixage. Ce cadre contraignant posé, le musicien n’aura de cesse de naviguer tout au long des 40 minutes du disque entre la froideur clinique des sonorités électroniques, et la chaleur d’une approche “songwriter” plus traditionnelle.
Tim Bowness connaît très bien la musique (au sens premier du terme), comme il peut en témoigner lorsqu’il passe en revue l’histoire des courants musicaux des 55 dernières années dans le podcast “The Album Years”. Il utilise certainement ce bagage lors de l’arrangement de ses titres pour chercher la route la moins évidente, sortir d’une zone confortable connue, aller vers l’expérimentation, et se débarrasser au maximum du superflu. Tous les titres de ‘Powder Dry’ témoignent de cela, à commencer par le premier : “Rock Hudson” avec sa sonorité à la fois années 80 et très contemporaine essentiellement à base d’éléments percussifs, un petit motif répété, un accompagnement plus suggéré que appuyé, une voix chaleureuse, presque voilée ou chuchotée. “Lost / Not Lost” suit le même chemin et enfonce le clou, en allant encore plus vers le côté électro. Il y a aussi des titres empreints d’une grande mélancolie très réussi comme “When Summer Comes” ou “A Stand-up For The Dying”, superbe ballade accompagnée par une guitare acoustique lointaine, noyée dans la reverb, qui demande un effort d’attention pour en apprécier l’harmonie, puisqu’à aucun moment une grosse basse ne viendra appuyer la fondamentale des accords. Exactement la même approche est utilisée sur “This Way Now”, genre de ballade Folk Lo-Fi. On trouve également quelques morceaux instrumentaux courts permettant d’entretenir une atmosphère calme et mélancolique comme “Films Of Our Youth” qui semble être répondue plus loin par “The Film Of Your Youth”. Il existe quand même un petit creux en milieu d’album où certains morceaux manquent un peu de relief donnant un sentiment de trop grande linéarité entre les titres. Impression balayée par quelques éléments beaucoup plus contrastés comme le par moment limite noisy “Powder Dry”, ou l’évanescent titre de clôture “Built To Last”.
Contrairement à beaucoup d’albums chroniqués dans ces pages, il n’est pas nécessaire d’écouter ‘Powder Dry’ d’une seule traite, on peut en picorer quelques bouts de manière indépendante. Certes, une écoute rapide et inattentive pourra donner l’impression d’une compilation de titres courts, linéaires et un peu bâclés, alors qu’ils sont au contraire le fruit d’un travail de production précis et très poussé. Le parti pris n’est pas toujours payant. L’est-il cette fois-ci? Je vous laisse en juger.
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