Et bien voilà, nous y sommes ! Si les maths nous enseignent que le chemin le plus court vers une cible est la ligne droite, la vie courante se charge de nous rappeler que c’est rarement le cas. Je ne sais pas si Claude Mignon, le musicien qui se cache derrière Seven Reizh, est marin comme nombre de bretons vivant sur la côte, mais à coup sûr il sait naviguer avec fort vent de face et mener sa barque (fût-elle ailée) à son but. D’ailleurs, quand je le qualifie de musicien, c’est un peu incomplet quand on sait tout ce qu’il a réalisé pour nous offrir le couronnement de 25 ans d’aventures musicales que constitue le double album La Barque Ailée et l’Albatros … quand s’envolent les mots … Musicien donc : de l’écriture pour un nombre considérable de parties instrumentales et vocales jusqu’à l’orchestration fine de l’ensemble, et de la conduite d’une quarantaine de musiciens (allant de la joueuse de l’étrange nyckelharpa à la chanteuse vietnamienne), jusqu’à la réalisation finale de ce grand projet musical. Il va sans dire que les sonneurs bretons, indispensables au son Seven Reizh sont du voyage. Musicien mais aussi photographe quand il s’agit d’illustrer le magnifique livre-CD que j’ai eu le plaisir de découvrir il y a quelques jours. Si je fais volontiers mienne cette citation d’Alfred de Musset, « qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse », reconnaissons que le flacon est somptueux et cela importe quand il s’agit de mettre l’auditeur dans les meilleures conditions ! Outre les photos on admirera par ailleurs les illustrations originales d’Yveline Abernot, peintre de Camaret.
Il est temps d’ouvrir le flacon et de s’enivrer en parcourant les 12 morceaux répartis en 2 CDs (ou 3 vinyles). Il s’agit en fait d’une réécriture utilisant des musiques déjà présentes sur les deux albums précédents, dépouillées du chant, ce dernier étant en quelque sorte remplacé par de riches vocalises. Très bien pensées d’ailleurs ces vocalises confiées à une chanteuse turque, une vietnamienne, une française, une allemande et à un contre-ténor franco-russe, et qui sonnent comme autant de mélopées s’affranchissant très souvent des notes pures de la tonalité pour nous gratifier de quart de tons et autres micro-intervalles auxquels nos oreilles occidentales ne sont pas habituées. Deux pièces courtes et très acoustiques encadrent l’œuvre, « Antre » et « Klozañ » dont même les non-bretonnants comprendront qu’ils signifient tout simplement l’entrée et la sortie, version bretonne de l’Alpha et l’Oméga.
Avec « Antre » ce sont des sonorités celtiques qui lancent le voyage, sur une belle mélodie mélancolique. La mélancolie n’est pas absente non plus de « Cheñch » (changer), mais c’est la puissance de la musique qui s’impose ici, un temps survolée par le violon et le sax, puis par les étonnantes vocalises. « Kroazon », la Presqu’île de Crozon face à Brest, quasi immuable à travers ses 550 millions d’années d’histoire géologique, fait ici l’objet d’une évocation musicale très poétique et plutôt aérienne … un sentiment d’éternité ? « Odisea » déroule un tempo lent que vient perturber une guitare flamenca précise et nerveuse, dont les lignes telles des lianes semblent s’enrouler autour des mélodies vocales et instrumentales.
« The Middle Path », traduit la voix du milieu des bouddhistes, ou comment éviter les extrêmes pour trouver l’illumination. D’abord très calme et onirique, la musique devient soudain un cri puissant lancé à plusieurs reprises, surprenant car on ne s’y attend pas ! Les connaisseurs de Seven Reizh ne manqueront d’ailleurs pas de reconnaître ici le morceau qui figurait sous le même titre, mais en français, dans la Barque Ailée. Pour « Brems », votre dictionnaire breton-français ne vous aidera pas, par contre si vous avez le norvégien en poche, vous apprendrez que ce mot signifie frein / arrêt. C’est surtout ici l’occasion de découvrir les belles sonorités de la nyckelharpa citée plus haut.
On passe au deuxième CD, qui démarre avec le génial « Herzel » qui offre d’abord de longs accords au synthé, avant de lancer une véritable danse tribale assez saisissante. Les ruptures rythmiques et mélodiques sont fréquentes, laissant l’auditeur dans un monde en perpétuel changement. A propos de rupture, le silence abrupt (vers 45’’) vous laisse une seconde au-dessus du vide, avant que le violon ne vous rattrape sur une courte incise qui rappelle le très beau thème du Concerto d’Aranjuez. Plus linéaire, les « Vents contraires » s’épanouissent sur le rythme lancinant et immuable donné par la batterie. « Neşeli », d’après le mot turc signifiant joyeux, demeure malgré son titre dans une ambiance claire-obscure, et cette fois c’est logiquement la chanteuse turque qui officie.
« Breathe » fait perdurer cette atmosphère en demi-teinte. Et puis peu à peu, la respiration s’accélère, prend du volume et de la vélocité. Autre pièce de grande envergure, « L’ombre de Féng », le vent chinois, donne à entendre flûte bambou et guzheng, instruments typiques de l’Empire du Milieu. Les coups de boutoir du tambour dans l’ultra grave feront vibrer vos murs et vous-même au sens physique du terme, pour peu que vous poussiez un peu le volume. « Klozañ » nous rappelle qu’il est temps de clore ce voyage initiatique. Les sonorités de harpe celtique, voisines de celles de l’introduction se mélangent à d’ultimes vocalises féminines célestes.
Voilà un très bref aperçu de ce nouveau voyage en terre bretonne concocté avec beaucoup de minutie par Seven Reizh. Loin de donner l’image d’une Bretagne rétrécie ou repliée sur elle-même, Claude Mignon, tout en gardant solidement ses pieds ancrés dans les bases celtiques / bretonnes caractéristiques de Seven Reizh, a transformé le matériau d’origine en une musique du monde, selon l’expression consacrée. A dire vrai, cette volonté d’ouverture était déjà présente dès Strinkadenn’Ys.
Je ne résiste évidemment pas à vous assénez cette vérité : en bon breton, Claude Mignon est têtu ! Au-delà du cliché et du clin d’œil (entre compatriotes), c’était nécessaire à l’aboutissement d’un tel projet musical et artistique. Cependant son obstination n’a d’égale que la générosité et la bienveillance que je crois percevoir derrière ce musicien au long cours. Les mots se sont envolés … reste une musique puissante et chargée d’émotion, que je trouve très cinématographique, qui mélange subtilement celtique et oriental (pour faire simple). Je ne sais d’ailleurs pas trop à quoi je pourrais comparer la musique de Seven Reizh tant elle est originale, si ce n’est qu’elle transcende allègrement les frontières musicales dans une splendide voie du milieu dont Claude Mignon a, semble-t-il, le secret !
Formation du groupe
Claude Mignon : Compositions/arrangements, guitares électriques et acoustiques, piano, synthés, lap steel - Marcel Aubé : Erhu - Pelin Başar : Ney, voix turque - Éléonore Billy : Nyckelharpa - Loïc Bléjan : Uilleann pipes - Cyrille Bonneau : Duduk - Olivier Carole : Basses - Sébastien Charlier : Harmonica - Shan Charriau : Flûtes bambou - Mathilde Chevrel : Violoncelle - Jonathan Dour : Violon - Philippe Durand : Cor d’harmonie - Rosendo Gomez : Guitare flamenca - Ronan Hilaireau : Piano - Michel Hoffman : Hautbois - Régis Huiban : Accordéon - Vincent Lecomte : Basse, trompette - Bernard Le Dréau : Saxophone ténor, clarinette - Ewan Le Gallic : Cornemuse écossaise - Shane Lestideau : Violon - Gurvan Mével : Batterie, percussions - Gwenaël Mével : Tin et low whistles, bombarbe - Gwendal Mével : Flûte traversière - François Pernel : Harpe celtique - Ying Rao : Guzheng - Thierry Runarvot : Contrebasse - Olivier Salmon : Guitares électriques et acoustiques - Gilles Sasongko : Violon - Nadia Simon : Voix française - Laurent Sureau : Handpans - Huong Thanh : Voix vietnamienne - Stefanie Theobald : Voix - Mihaï Trestian : Cymbalum - Alexis Vassiliev : Contre-ténor - Xuân Vinh Phuoc : Dàn Tranh - Chœurs à voix égales « Stimmung » et « Solfanelli », du Conservatoire de Brest, dirigés par Cécile Le Métayer. - Xavier Aubert : Ingé-son
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