Un véritable souffle épique parcourt de bout en bout ce nouvel album de Gérald Massois. En effet, pour son second effort discographique, l’artiste français a choisi de nous conter, avec une véritable ambition narrative, le destin tragique de deux frères dans le douloureux contexte de ce qui deviendra le prologue de la Seconde Guerre mondiale ; cette guerre civile espagnole, « où l’on sait pourquoi l’on tue et qui on tue », une guerre d’une barbarie inouïe, qui opposa, pendant près de trois années sanglantes à la fin des années 30, les forces républicaines aux troupes franquistes, faisant plus d’un million de victimes. Et pour ce faire, le chanteur-guitariste, qui a écrit tous les textes et quasiment l’intégralité de la musique, s’est appuyé en partie sur les souvenirs de son grand-père, ce qui confère à l’ensemble un perceptible supplément d’âme.
L’ouverture instrumentale de l’album sur l’élan symphonique de « 1939 » confirme la volonté de conférer au récit une dimension cinématique et nous plonge immédiatement dans ce drame en latence, écho prémonitoire de ce temps d’apocalypse qui va nous être conté. À rebours du temps, la narration de ce concept-album débute avec « Les Ennemis d’Hier« , au lendemain de la victoire des nationalistes, dans cette sidération du narrateur, face aux vestiges du chaos et dans ce monde où il va pourtant falloir réapprendre à vivre ensemble, magnifiquement restituée par ce solo de guitare tout aussi déchirant que lyrique en intro du morceau et par l’envolée du refrain qui sonne comme un cri. Parvenir à se reconstruire paraît d’autant plus une gageure que le sommeil ravive insidieusement le trauma et les souvenirs de l’horreur de la guerre, en témoigne « La Bataille de l’Èbre« , qui hante le protagoniste, engagé aux côtés des forces républicaines, illustrée avec justesse au travers de quinze minutes très inspirées, foncièrement prog et techniquement irréprochables, avec une mise en tension immédiate, alternant moments d’angoisse, brèves accalmies et orages d’acier sur ce champ de bataille qui aura hélas sonné le glas des espoirs républicains. Difficile, à ce compte, de ne pas traîner son spleen dans ce semblant de quotidien d’après-guerre, même à l’heure de retrouver les siens.
Une fragilité magnifiée par la voix de Gérald Massois, sur les premiers couplets de la composition « Les Trains d’Ombres« , qui prend plus que jamais des accents très Christophiens. Un regard désabusé qui se mue soudainement en douleur indicible lorsque le narrateur apprend brutalement que son frère aîné, engagé avec les forces nationalistes, n’est plus de ce monde, passage appuyé par une musique qui se pare d’une dimension orchestrale avant de se conclure sur un final émouvant. Les quatorze minutes de l’impressionnant instrumental « Une Colline Sans Nom« , d’une veine créative similaire à la première partie de « La Bataille de l’Èbre« , apportent une réelle respiration dans le récit et semblent dépeindre le flux d’émotions vécues par le protagoniste, avec cette volonté de conserver l’identité globale de l’album, tout en accentuant encore la dimension symphonique. On notera également sur cette composition un délicat passage acoustique, (à juste titre) très hispanisant, du plus bel effet. De ce frère disparu ne demeurent que de poignantes lettres (« L’Encre des Maux » et « Demain à L’Aube« ), constituant ses derniers écrits à l’heure d’être fusillé par l’armée franquiste pour désertion. Les mots de « Demain à L’Aube » en évoquent d’autres, notamment ceux, magnifiques, du poème La Mort en Face, du sulfureux Robert Brasillach, également couchés sur papier la veille d’être exécuté, mais pour collaboration active avec le régime nazi en 1945. D’autres mots encore, ainsi cette phrase de Léo Ferré, fort à propos, dans « L’Espoir » : « Exécutées à l’aube avec la stéréo, le silence permis au-delà de Franco ». Et bien d’autres.
L’album se clôture sur la mélancolie du mid-tempo « Les Passagers du Vent« , nous projetant de nombreuses décennies plus tard, lorsque le narrateur, à l’heure du grand départ, se laisse envahir avec émotion par tous ces souvenirs que le temps n’efface jamais complètement.
La musique de Gérald Massois est difficile à cerner, affichant une diversité de tonalités et se teintant de couleurs tantôt prog, tantôt prog metal, bien souvent symphoniques, légèrement pop et intégrant également des éléments propres à la chanson à texte. Ce qui n’est pas une surprise au regard des références citées par l’artiste qui incluent des artistes aussi divers que Neal Morse, Dream Theater, Peter Gabriel, Joe Satriani, Michael Kamen ou encore Ennio Morricone, pour n’en retenir que quelques-unes. Des influences au demeurant toutes absolument parfaitement digérées et avec pour volonté principale de ne pas s’enfermer dans des schémas musicaux convenus et de toujours laisser la musique respirer. Si le Rémois se taille la part du lion tout au long du disque avec des solos inspirés, il est également épaulé par des compères de longue date, dont Nicolas Gardel, au piano et aux claviers (un musicien qui possède selon lui, la « sensibilité musicale de Kevin Moore ») et l’excellent batteur Maxx Gillard. D’autres musiciens se sont également joints à ce nouveau projet, contribuant à en enrichir la palette musicale. Et parmi ceux-ci : Gionatan Caradonna (claviériste et fondateur de Profusion, impressionnant sur la seconde section de « La Bataille de l’Èbre »), Pierre-Emmanuel Gillet (guitare acoustique et classique), Sarah Tanguy (une très belle partition de violoncelle sur « Demain à L’Aube ») ou encore Yohann Gros (Faika) à l’orgue Hammond. Gérald Massois possède une voix très empreinte de pop française, ainsi qu’il le concède lui-même, ce qui crée un saisissant contraste avec la puissance de la musique, avec pour vertu de rendre cette dernière plus accessible. Soulignons enfin le parti pris courageux de chanter en français, un choix qui a le mérite de nous permettre de découvrir des textes authentiques et un champ lexical plus riche que la majeure partie des productions étrangères. Demain à L’Aube est dans la continuité de l’album Le ‘Vol Erratique d’un Papillon’ (le premier coup de maître de l’artiste français que nous vous enjoignons à redécouvrir en urgence), mais ouvre également de nouvelles perspectives. Et voici donc ainsi, quasiment sept années de travail hautement récompensées !
Formation du groupe
Gérald MASSOIS : Chant, Guitares, et un peu tout le reste - Maxx GILLARD : Batterie - Jonathan TAVAN : Basse - Nicolas « Gadoul » GARDEL : Piano & claviers - Gionatan CARRADONA : Piano virtuose (4) - Pierre-Emmanuel GILLET : Guitare classique, acoustique (3 & 6) - Yohann GROS : Piano, célesta, Hammond B3 (7 & 9) - Pascal BAILLEUL : Le siffleur du 6 - Sarah TANGUY : Violoncelle (5 & 8)
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