Ocean Without a Shore

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(4.5 sur 5) / Mascot Label Group
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Métal Progressif Rock Progressif

L’année 2012 avait marqué un tournant majeur et définitif pour les frères Cavanagh, alors associés au sein du groupe britannique Anathema. Parachevant leur trajectoire musicale, à des années-lumière des territoires doom metal de leurs débuts, ils nous avaient offert avec l’album Weather Systems un joyau d’art rock aux confins du sublime. Un album que Daniel Cavanagh considère aujourd’hui encore, à juste titre, comme leur meilleure production discographique. Ce qui explique sans doute que, depuis la mise en sommeil d’Anathema en 2020 et à l’heure de choisir un nom pour son projet solo, il ait tout simplement opté pour le titre de cet album. Une décision qui semble souligner une volonté franche de renouer avec un univers musical résonnant encore dans toutes les mémoires.

Cette impression est immédiatement confirmée à l’écoute de cet album. Épaulé par le batteur Daniel Cardoso (Anathema, Sirius) et de nouvelles recrues, notamment la chanteuse portugaise Soraia Silva, le multi-instrumentiste Daniel Cavanagh reprend in extenso la formule de Weather Systems, tout en l’enrichissant de quelques touches plus metal. C’est donc avec beaucoup de plaisir que l’on retrouve dans Ocean Without a Shore une musique qui prend le temps de se développer et respire d’autant plus que la formation évite les démonstrations techniques pour privilégier une narration émotionnelle. Plus que tout, le groupe reprend à son compte cette approche spécifique consistant à développer les morceaux de manière circulaire, avec des motifs mélodiques ou rythmiques introduits progressivement, puis enrichis à chaque passage, intensifiant ainsi graduellement l’émotion. On note également un usage fréquent des contrastes, avec des passages atmosphériques suivis de moments plus intenses. La texture musicale continue de superposer, de manière subtile, nappes électro et partitions acoustiques, avec une sensibilité post-rock affirmée. Les fragments narratifs interconnectés abondent, donnant l’impression que chaque composition fait partie d’un tout. Le dialogue masculin-féminin (véritable marque de fabrique du défunt Anathema) est ici remis à l’honneur. Ce premier essai en solo se veut un album positif. Daniel Cavanagh explique d’ailleurs que l’écriture de ce disque (qui a débuté en 2019 alors que les deux frères envisageaient de donner une suite à The Optimist) fut cathartique, en réponse à une période particulièrement sombre de sa vie privée. Et même si une certaine mélancolie hante ces compositions, le thème prédominant demeure, selon les mots de l’artiste, celui de « l’amour universel, l’amour de l’humanité et le respect de la vie ». Le concept même de l’album – l’idée d’un océan infini et sans rivage – est une invitation non pas à un voyage linéaire, mais plutôt à une dérive aux possibilités multiples, métaphore d’une traversée à la fois intime et universelle.

« Synaesthesia« , qui annonce le thème de l’album (« Love, an ocean without a shore / L’amour, un océan sans rivage »), constitue une magnifique entrée en matière avec une prééminence de la guitare, ce chant à plusieurs voix et, bien entendu, cette capacité à couvrir en neuf minutes une multitude de paysages sonores, alternant passages heavy et moments très aériens. On est également impressionné par la clarté du son et la belle dynamique d’ensemble, que l’on doit à Tony Doogan (Mogwai, Belle & Sebastian), déjà producteur du dernier album d’Anathema. Le voyage se poursuit avec « Do Angels Sing Like Rain« , centré sur une récurrence d’accords qui ancre insidieusement le morceau dans la tête de l’auditeur. La composition surprend par sa dimension pop initiale avant de se développer de manière plus frontale, traversée subitement par une décharge électrique, puis de se clôturer en douceur, évoquant un sanctuaire où l’âme peut enfin trouver refuge, libérée des ombres de la vie (« I just want to stay at the bottom of the lake, angels underneath, singing me to sleep / Je ne désire rien d’autre que rester dans les profondeurs du lac, avec ces anges en dessous, murmurant des chants pour m’emporter vers le sommeil »).

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Cette sensation de sérénité se prolonge avec « Untouchable Part 3« , autre référence directe à Weather Systems, dont la progression mélodique, tout en retenue, évoque ces instants magiques où tout semble possible, avec une répétition de motifs musicaux qui agit comme un ressac avant de prendre une dimension symphonique. La musique de « Ghost in the Machine » est un appel des profondeurs (« Pull me underneath the waves ») dans une mystérieuse polyrythmie évoquant le souffle mécanique mais fragile d’une machine, dernier lien ténu entre ombre et lumière. Dans un contraste saisissant, « Are You There – Part 2 » (clin d’œil à l’album d’Anathema A Natural Disaster) se déploie lentement, de manière aérienne, teintée d’espérance et de cette sensation de connexion avec l’invisible enfin établie (« I hear you, I feel you / Je t’entends, je sens ta présence »). De cette rencontre naît une prière insistante dans « Still Lake » (« Take me away from here / Emmène-moi loin d’ici »), marquée par une boucle entêtante. La prière devient supplique sur « Take Me With You« , dans un crescendo émotionnel, où se révèle l’urgence de la fuite et le désir irrépressible de partir loin pour tout recommencer. La composition éponyme, « Oceans Without a Shore« , incarne l’essence du disque : une étendue sonore infinie, sans point d’ancrage, où l’on se laisse dériver, sans jamais savoir si et quand on retrouvera la terre ferme. La mélodie, d’abord évanescente, est amplifiée par un vocoder, invitant à embrasser les possibilités au-delà de l’horizon (« Can you see, see what’s behind the door, an ocean without a shore, a sky that could never fall / Peux-tu voir, voir ce qu’il y a derrière la porte, un océan sans rivage, un ciel qui, jamais, ne pourrait s’effondrer ? ») avant que le morceau ne prenne son envol sur cet océan sonore porté par des vagues électro hypnotiques. C’est enfin « The Space Between Us » qui clôt ce périple, dans une grande célébration de la promesse de cet amour universel, avec une tonalité presque world music, résonnant longtemps encore après l’écoute, comme une dernière respiration avant le saut final vers l’inconnu.

Ce nouveau projet de Daniel Cavanagh nous offre avec Ocean Without a Shore un voyage introspectif et immersif d’une ineffable beauté qui se révèle plus nuancé à chaque écoute, rappelant la grâce de l’album Weather Systems. Dans cette danse éthérée entre mélancolie et espérance, c’est l’optimisme qui l’emporte, rappelant que l’océan porte en lui la lumière du monde, tel un souffle de vie qui palpite sous la surface.

Formation du groupe

Daniel Cavanagh : chant, guitare électrique et acoustique, basse, claviers, piano, piano électrique, programmation, vocodeur, arrangements de cordes - Daniel Cardoso : batterie Avec : Soraia Silva : chant - Oliwia Krettek : chant - Petter Carlsen : chant - Paul Kearns : chant

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