La singularité du groupe anglais Threshold est de faire partie de ces groupes qui comptent indubitablement au sein de la scène prog-metal, depuis la sortie de leur tout premier album ‘Wounded Land‘ il y a presque trois décennies de cela, et qui pourtant n’ont jamais réellement connu un ample succès. Sans doute parce que leur production discographique demeure parfois inégale en dépit de quelques albums particulièrement réussis et de compositions çà et là absolument indispensables. Une chose est néanmoins certaine, alors que l’on pensait le groupe moribond après le départ du chanteur Damian Wilson, « Legends of the Shires » leur onzième et dernier effort studio à date paru en 2017, est un album colossal absolument indispensable. Threshold nous propose un ambitieux concept album contenant pas moins de 14 morceaux parfaitement calibrés dont deux pièces dépassant les 10 minutes, soit un total de 82 minutes inspirées sans baisse de régime aucune.
Le premier niveau d’ambition tient au concept album lui-même qui nous invite à une double lecture, ainsi que l’explique le guitariste fondateur Karl Groom (également connu pour son travail en tant que producteur notamment pour Pendragon et Dragon Force) : ‘ « Legends of the Shires » est un album qui aborde la manière dont nous essayons de trouver notre place dans le monde, d’un point de vue politique comme individuel. Le premier angle de vue c’est celui d’un pays ou d’une nation qui cherche à se positionner dans la géopolitique globale. Le parcours de l’Angleterre ces dernières années sur la scène européenne, entre autres, a été une source d’inspiration. Le second angle de vue est le cheminement en tant qu’individu au travers de la vie, la manière dont on évolue avec aussi ce regard critique porté par exemple sur certaines décisions que l’on a pu être amenés à prendre de par le passé ‘. Une composition comme « State of Independance » exprime particulièrement ce principe puisque pouvant être interprétée à titre politique, le Brexit, comme à titre personnel, un divorce. Une manière, somme toute, avec cet album de faire le point sur nos mutations intimes comme collectives.
Le second niveau d’ambition réside tout simplement dans la qualité de la musique. « Legends of the Shires » se veut plus progressif que jamais. Threshold à l’instar d’un Shadow Gallery se démarque de groupes comme Dream Theater, Symphony X ou Redemption, de par une composante prog dans l’équation prog-metal peut-être plus prononcée. Le groupe a également cette volonté, nonobstant les compétences techniques indéniables de ses musiciens, de limiter les développements instrumentaux purement démonstratifs et de rendre la musique plus accessible, même sur les titres les plus longs, ce qui est au demeurant un véritable tour de force. La musique sur ce nouvel album semble retrouver de l’ampleur et de la profondeur et laisse par ailleurs beaucoup plus d’espace au claviériste Richard West qui nous gratifie de sonorités magnifiques, tantôt héritées d’un noble passé, tantôt quasi futuristes. On note également une grande homogénéité dans la direction musicale globale qui tient sûrement au fait que l’album a été presque exclusivement composé par le duo Karl Groom / Richard West (à l’exception de « On the Edge » écrit par le bassiste Steve Anderson). Enfin, la dimension progressive se retrouve jusque dans l’artwork, absolument magnifique, qui ornemente la pochette. A dessein d’ailleurs, puisque Richard concèdera qu’il recherchait ‘quelque chose qui ait cette tonalité prog, dans le style de Roger Dean* (Ndlr : Yes, Asia, DBA, Uriah Heep etc..), mais en plus moderne‘.
Il ne faut pas se méprendre sur le ton quasi pastoral de l’intro de l’album, « The Shire part 1 » . En effet, le morceau d’ouverture qui suit, « Small Dark Lines » , est une attaque frontale en règle qui permet au demeurant de comprendre immédiatement le choix de Glynn Morgan au chant (et dont c’est le grand retour puisque Glynn avait tenu le micro sur l’album ‘Psychedelicatessen‘ en 1994) lequel brille particulièrement dans ces tonalités. Avec « Small Dark Lines » le groupe démontre cette capacité à proposer un morceau puissant, tout en conservant des lignes incroyablement mélodiques, et agrémenté d’un pré-refrain/refrain très accrocheurs. Avec, en outre, un break qui s’appuie sur de très belles sonorités, tant côté solo de claviers que de guitare. Et l’on retrouve cette formule déclinée avec autant de succès sur des compositions telles que « Trust the Process » ou « Superior Machine » (toutes deux avec de très belles interventions aux claviers en intro, la première de manière quasi symphonique et la seconde dans un registre plus éthéré) ou encore sur « Snowblind » .
Le groupe monte encore le niveau d’un cran avec deux titres que l’on pourrait qualifier d’épiques. Tout d’abord, « The Man Who Saw Through Time » qui, au terme d’une mélancolique intro typiquement prog, se développe à pleine puissance tout en intercalant des passages très aérés, permettant par là même au morceau de réellement respirer. Et l’on appréciera le solo final de Karl Groom parcouru d’un réel souffle héroïque. Ensuite, « Lost in Translation » , plus direct, plus sombre et plus dramatique avec ces sonorités de claviers très Genesiennes vers les 4 minutes, complémentées par un travail phénoménal à la basse sur lequel vient se greffer en alternance un solo de guitare ciselé puis un solo de claviers de la plus belle facture dans la grande tradition néo-prog.
Comme en contrepied, Threshold nous distille également des titres mid-tempo presque plus formatés mais qui n’en demeurent pas moins exceptionnels. Le plus réussi d’entre eux est très certainement « Stars and Satellites » , incroyablement mélodieux et presque AOR à certains moments. Ce qui n’empêche pas le batteur Johanne James de rajouter de la double grosse caisse sur les accélérations histoire de rappeler qu’un groupe comme Testament figure parmi les influences de Threshold. Et le groupe s’octroie même le plaisir d’un clin d’œil à Pink Floyd sur le final ‘Will you answer the call on the telephone.’ ‘Will you follow the map we sent. Will you take all the pills and the dollar bills.’ ‘And the lies that came and went’. « On the Edge » et « Subliminal Freeways » , qui ont également le mérite de ralentir la cadence de l’album, se démarquent tous deux par de superbes intonations dans les refrains, le premier sur ‘I will always be grateful. ‘ ‘To the angels that cushion my fall. Leading me back to the flame. In the darkness that ignited it all’ et le second sur ‘But I feel no elation.’ ‘There’s nothing in my heart‘.
Et enfin, afin de parfaire l’œuvre, Threshold intègre deux courtes ballades qui équilibrent l’ensemble; « State of Independance » très émouvante sur laquelle Glynn Morgan exprime toute sa douleur face à l’absurdité de la situation ‘So you stand as the defendant.‘ ‘So silent and polite. But your lies are unrepentant. Like sirens in the night. And there could’ve been a way, should’ve been a way. To win without a fight. And avoid this state of independence’. Et « Swallowed » qui reboucle admirablement avec un passage de « Stars and Satellites » et clôture l’album à la perfection avec plus de légèreté sur une note qui n’en demeure pas moins mélancolique ‘And it can all be swallowed.’ ‘They say it’ll do you good. It can all be swallowed. But I don’t really know if I should.’.
A l’heure d’écrire ces quelques lignes, le groupe nous annonce être en train de mettre les dernières touches, dans les studios Thin Ice dans la région du Surrey (Angleterre), à leur nouvel album prévu pour le premier semestre de 2022. Et Richard West de commenter ‘Tout prend forme de la plus belle manière et ça sonne mieux que jamais. Si « Legends of the Shires » avait un grand frère, plus sombre et plus ténébreux, alors ce serait ce nouvel album‘. Nous croisons les doigts…
Formation du groupe
Glynn Morgan : Chant Johanne James : Batterie Karl Groom : Guitares Richard West : Claviers Steve Anderson : Basse Jon Jeary : Chant sur "The Shire (Part 3)"
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Un grand merci pour cette découverte ! Pile le bon mixte pour un néo-fan de prog métall qui commençait à vouloir aller chercher en dehors des dream theater !