En route vers le Québec, pour nous intéresser à l’EP ‘L’homme d’affaires’ écrit et interprété par Sûrette. Derrière cet étrange patronyme, on trouve le musicien Vincent Leboeuf Gadreau qui a eu l’amabilité de répondre à mes questions lors d’un entretien que vous pourrez lire ci-dessous. ‘L’homme d’affaires’ est un recueil de cinq excellentes chansons interprétées en français (ce qui est finalement assez rare sur ce site), dont le style musical est un mélange de Prog, Pop, Rock, Funk et Chansons. Il est agréable de pouvoir profiter de textes en français pour nous, public francophone, et d’avoir ainsi un accès plus direct aux sens des chansons. Et cela tombe bien, car Sûrette a des choses à dire! Nous avons parlé de tout cela et de bien d’autres choses avec le principal intéressé, lors d’un échange passionnant que j’ai tenté de retranscrire au mieux ci-après:
ProgCritique : Sûrette est-il un projet entièrement individuel porté par ta seule personne?
Sûrette : Merci de l’intérêt, premièrement, c’est super apprécié de donner une petite tribune à mon projet! Pour répondre à ta question : oui, c’est mon projet solo. C’est aussi mon premier projet en français où j’assume complètement l’écriture, la gestion, la composition puis évidemment, le côté financier. Je suis accompagné en studio par un batteur et une bassiste/choriste. Mais c’est un projet que je porte entièrement seul.
ProgCritique : Peux-tu en profiter pour citer les musiciens qui participent à l’album « L’homme d’affaires »?
Sûrette : Alors en studio, j’ai Loïc Paradis-Laperrière qui joue de la batterie, et qui “gueule” sur une des chansons “Griffes et crocs”. Il y a également Rachel Hardy-Berlinguet qui est un de mes piliers musicaux avec qui j’ai fait de la musique auparavant dans d’autres projets. Elle est bassiste et aussi choriste. Les deux sont aussi dans mon groupe live. J’ai aussi Juliette Drapeau qui m’accompagne sur scène à la guitare et aux voix. J’ai également eu sur mon EP la participation d’un claviériste de Québec qui s’appelle William Lévesque qui a joué quelques claviers, entre autres sur la pièce “Fou fou fou”.
ProgCritique : Écris-tu l’intégralité de la musique et des textes de tes chansons?
Sûrette : Oui, pour le moment, c’est un projet que je compose et que j’écris entièrement. Ça a souvent été le cas dans mes projets musicaux. Néanmoins, je suis ouvert et je commence à regarder pour des collaborations d’écriture prochainement.
ProgCritique : Quel est ton parcours musical? As-tu fait partie d’autres formations avant ce projet?
Sûrette : Je fais de la musique depuis peut-être une quinzaine d’années. J’ai appris de façon autodidacte. J’ai également un groupe de rock progressif qui s’appelle Inner Odyssey. C’est un “band” de rock progressif, métal avec lequel on a enregistré trois albums. Un projet qui est pas mal sur la glace (N.D.L.R. : en pause) depuis la pandémie. J’ai aussi un projet solo que j’ai sorti il y a une dizaine d’années qui s’appelle Isos avec un EP qui s’intitule ‘Loving on Standby’. J’ai aussi joué dans un groupe de Synth-Pop qui s’appelle Moon Too. Enfin, j’ai accompagné quelques amis, Peyo, Ultra Violette dans différents projets à la guitare.
ProgCritique : Quelles sont tes principales influences, qu’elles s’entendent ou non dans ta musique?
Sûrette : Je viens du milieu du rock progressif, même du métal, donc je ne sais pas si ces influences s’entendent tant que ça. On peut bien entendu nommer Steven Wilson, Porcupine Tree, Opeth, qui sont des groupes européens de rock progressif. Dans la musique québécoise, il y a Harmonium, Marie-Pierre Arthur, Beau Dommage, qui sont des influences aussi. Également Vulgaires Machins, surtout au niveau de la voix, avec ce ton un peu nonchalant, un peu cynique, ainsi que dans la composition des textes. Mais je dirais que Porcupine Tree et Riverside sont instrumentalement les artistes qui m’inspirent le plus, qui m’influencent le plus dans mon style.
ProgCritique : Justement, notre site ProgCritique est consacré essentiellement au Rock Progressif. Je trouve dans la musique de Sûrette une composante Prog, es-tu d’accord avec ça?
Sûrette : Évidemment je suis d’accord avec ça, c’est dans mes racines, c’est dans mes veines! Avec Sûrette j’essaie d’amener un côté plus accessible, plus pop, ce qui est pour moi un beaucoup plus gros défi que d’écrire de la musique progressive. Par le passé j’ai enregistré une cinquantaine de chansons qui sont vraiment des musiques progressives, des longues pièces de 7 à 15 minutes, c’est dans cet exercice que je suis expérimenté. Par contre, les contraintes créatives de la musique populaire, plus accessible, c’est quelque chose qui me parle beaucoup depuis quelques années. J’ai maintenant un penchant plus pop.
ProgCritique : Plus globalement, comment qualifierais-tu le style de Sûrette?
Sûrette : Je qualifie mon style de rock pop progressif ou de rock pop à influence progressive. Je ne le cite pas tout le temps pour les médias parce qu’on dirait que c’est un mot dangereux pour la critique. À chaque fois qu’on veut booker un artiste et qu’on dit que c’est du Prog, ils ne veulent rien savoir! Donc je dirais que c’est du rock pop avec inspiration progressive, punk, même psychédélique par moment. Je pense que ça décrit bien mon style.
ProgCritique : Outre la musique, j’ai également été séduit par les textes. Est-ce un élément important pour toi?
Sûrette : Oui c’est un élément important pour moi. Merci du compliment. C’est quelque chose que je trouve très difficile, parce que j’ai une écriture assez littérale, pas beaucoup d’images, pas beaucoup de figures de style, ce qui était quand même voulu au départ. Mais là, c’est en train de changer peu à peu, c’est l’aspect que j’aimerais améliorer dans la prochaine année. Il faut dire que pour moi écrire en français versus ce que j’ai fait depuis plusieurs années, c’est un très gros défi, parce que ça implique de supprimer une certaine distance que j’avais auparavant avec le texte, avec l’idée, avec l’âme de la chanson. Cela devient beaucoup plus personnel, plus intime, et ça oblige à être authentique, et pas à peu près! Donc oui, les textes sont importants pour moi, c’est quelque chose que je trouve très difficile, mais que je travaille.
ProgCritique : Pour parler de l’album en particulier, j’ai de suite apprécié le mélange entre une attitude un peu désinvolte (de par les textes, un peu à la Jacques Dutronc), et un accompagnement musical plutôt sérieux et précis. Je pense que c’est une de tes forces. Je te vois comme un mix de M et Steven Wilson… Est ce conscient et voulu?
Sûrette : Je trouve ça très flatteur, parce qu’évidemment Steven Wilson c’est une de mes grandes idoles musicales. A vrai dire, je ne connais pas trop Jacques Dutronc, désolé… La comparaison avec M, je trouve ça particulier, je ne suis pas un grand connaisseur, il faudrait que j’aille me renseigner un peu plus sur sa discographie. Je ne fais pas exprès, mais je pense que mes inspirations transparaissent.
ProgCritique : Cet EP de 5 titres annonce-t-il un LP plus conséquent?
Sûrette : Sûrette est un projet en développement, et ce n’est pas parce qu’on fait de la musique depuis 15-20 ans que sortir un nouveau projet est garant de succès. C’est un peu repartir à zéro. J’essaie de le gérer de façon stratégique, avec l’objectif de composer, d’enregistrer et de sortir un EP par année, en moyenne. À date (N.D.L.R. : aujourd’hui) c’est à peu près ça mon cycle, parce que je veux voir le style évoluer d’un opus à l’autre. Alors pour l’instant je m’en tiens au travail de sortir des courtes parutions, des EP, pour voir l’évolution.
ProgCritique : « L’homme d’affaires » est un super morceau, qui parle à beaucoup de gens je pense, et qui mélange habilement satire, moquerie gentille, mais aussi une forme de mise en garde pour qui veut bien l’entendre. Est ce inspiré d’une véritable rencontre? Ou une réflexion plus globale sur le monde du travail et la notion de performance?
Sûrette : Je pense que tu as parfaitement compris l’essence de la pièce “L’homme d’affaires”. Avant la pandémie, j’ai co-fondé une agence de spectacle avec quelques collègues avec qui j’avais travaillé dans une salle de spectacle auparavant. Je travaillais donc beaucoup dans le milieu du booking et des salles de spectacle, et disons que la vague #MeToo a fait un peu de ménage dans le milieu à Québec. Il y avait beaucoup ce genre de personnages, il y avait une surreprésentation de cet archétype très macho, très condescendant, très paternaliste, qui (même dans le milieu de la culture) est un véritable homme d’affaires, qui ne croit pas vraiment en la thérapie, en les valeurs féministes, et qui voit ce genre d’attributs comme des faiblesses. J’en ai côtoyé, et malgré le fait que j’ai tous les facteurs de protection en étant un homme blanc hétéro cisgenre, je me suis quand même vraiment fait chier avec certains pans de la masculinité toxique. J’ai donc eu envie d’écrire là-dessus, mais pas dans une perspective moralisatrice ou prescriptive. Je pense que la masculinité toxique, ça peut en masse (N.D.L.R. : beaucoup) les affecter, et oui, cet homme d’affaires je trouve qu’il symbolise beaucoup ce que je percevais et que je reprochais à ce genre de personnage. Bon, des anecdotes, j’en aurais à la pelle, mais je pense que tu vas manquer de place dans ton article.
ProgCritique : Comptes-tu défendre ce disque sur scène? Au-delà des frontières du Québec?
Sûrette : Hé, j’aimerais vraiment ça! Je viens de lancer un spectacle il y a deux semaines, que je vais aussi jouer à Montréal, la métropole, dans trois semaines, le 14 avril, dans une salle qui s’appelle le Quai des Brumes. Je n’ai pas d’autres spectacles prévus pour l’instant, sauf peut-être un cet été. Je vise vraiment une année de perfectionnement et de composition, c’est là-dessus que j’ai l’intention de mettre mon énergie. Mais évidemment, à long terme, j’aimerais énormément venir faire découvrir cet opus aux contrées francophones hors de la province.
ProgCritique : As-tu d’autres projets musicaux en cours?
Sûrette : En ce moment, Sûrette est le projet qui occupe mon entière attention et dans lequel je mets toutes mes énergies musicales. Par ailleurs, comme je l’ai dit au début de l’entrevue, j’accompagne parfois à la guitare une amie, Cassandre, dans son projet Ultra Violette.
ProgCritique : Question bonus : Pourquoi un homme à la tête de citron sur la pochette? (j’ai pensé à “L’homme à la tête de chou” de Serge Gainsbourg).
Sûrette : C’est une belle idée. Hélas, je n’ai pas pensé à ça! Il existe une expression ici qui dit “j’ai pogné un citron” (N.D.L.R. : “Je suis tombé sur un produit défectueux”), c’est un peu un signe de défaillance, de version manquée. Pour Sûrette, le citron est un objet emblématique. Cela représente aussi l’homme d’affaires qui est un peu un “con man” (N.D.L.R. : un escroc), une personne qui se retrouve en position d’autorité et normalement d’expertise, alors qu’il est rendu là que par concours de privilèges et de circonstances. On se rend compte que ces personnes ne sont pas compétentes et parfois même très brisées. La chanson “l’homme d’affaires” parle de ce genre de personnes qui fricotent étrangement avec la dépression majeure, mais qui n’iront jamais consulter, et qui finissent par, malheureusement parfois, poser des gestes autodestructeurs. Je pense que le citron correspond un peu à ce genre de personnage qui veut tellement être pris au sérieux, mais qui dans le fond est tellement brisé, tellement petit. Bien entendu, avec une pincée de cynisme et d’humour derrière tout ça…
Je remercie encore une fois Vincent de s’être prêté au petit jeu de questions-réponses. Cela nous permet de mieux connaître le contexte et les ambitions du projet Sûrette, et je vous encourage à supporter, streamer, partager, etc… sa musique sur Bandcamp et toutes les plateformes de streaming.
Formation du groupe
Vincent Leboeuf Gadreau : Voix et Guitare - Rachel Hardy-Berlinguet : Basse et Voix - Loïc Paradis-Laperrière : Batterie
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