Clutching At Straws

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(5 sur 5) / EMI
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Rock Progressif

Après l’énorme succès de Misplaced Childhood et la longue et épuisante tournée qui les a entrainé aux quatre coins du globe (ils se produisent notamment dans un Zénith plein à craquer en novembre 85), les anglais se retrouvent dans la délicate situation de produire un successeur capable d’égaler voir surpasser ce chef d’œuvre acclamé unanimement par la presse et par le public. Les musiciens pour qui il est hors de question de se reposer sur leurs lauriers s’attellent à l’écriture de Clutching At Straws, leur quatrième album studio.

Si de l’extérieur tout semble aller pour le mieux pour Marillion, vu de l’intérieur il en est tout autrement. Les tensions sont à leur comble et tout est sujet à discussions, le fait que la presse voit désormais Fish comme le leader du groupe agace ses collègues qui se sentent relégués au rang de simples exécutants, les différences de points de vue quant à l’évolution musicale future du groupe est aussi sujet à frictions, ajoutez à cela les égos de chacun, la pression de la maison de disque, le tout exacerbé par une consommation excessive d’alcool et de stupéfiants et vous obtenez un cocktail explosif. Pourtant, les musiciens avancent tant bien que mal et finissent par livrer, dans la douleur, la version définitive (après en avoir jeté une première aux ordures) de Clutching At Straws.

À ce moment de sa carrière, Marillion est au top et le groupe bénéficie du soutien de EMI, sa maison de disque qui ne lésine pas sur les moyens pour promouvoir sa poule aux œufs d’or, l’album remporte rapidement un grand succès. Il se classe à la 20e place des ventes en France, 2e en Angleterre ou encore à la 3e place en Allemagne.

Contrairement à son prédécesseur, Clutching At Straws se compose de titres d’un format plus « conventionnel » à l’image de « Incommunicado », un morceau rock et entrainant choisi comme premier single qui tourne en boucle sur NRJ. Des titres plus courts qui réussissent pourtant le tour de force de conserver les racines et les sonorités du rock progressif tout en allant droit au but sans abandonner totalement les structures plus alambiquées.

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Si le premier extrait est un titre radio friendly, il n’en va pas de même pour le reste de l’album qui propose une musique sombre qui porte les stigmates de l’ambiance désastreuse qui sévit au sein du groupe. Pourtant, rien à l’écoute de ce disque ne laisse penser que Marillion est au bord du précipice tant tout ici est maitrisé. Les musiciens jouent mieux que jamais et la cohésion semble totale d’un point de vu musical. Les morceaux laissent de la place à chacun pour exprimer son talent, que ce soit Mark Kelly dont les nappes de claviers se font tantôt discrètes, tantôt menant la danse, les interventions de guitares de Steve Rothery entre arpèges cristallins et soli majestueux, la basse ronde de Pete Trewavas qui est partout sans pour autant étouffer l’ensemble puis la batterie parfaitement mise en avant par la production impeccable de Chris Kimsey et qui permet enfin d’apprécier le travail du timide mais néanmoins indispensable Ian Mosley

Il serait bien évidement injuste de passer sous silence l’apport phénoménal de Fish dont les textes autobiographiques nous racontent sous forme métaphorique la désillusion, la difficulté de faire face « White Russians », l’ambivalence face à la consommation excessive d’alcool « Warm Wet Circles », la solitude « Hotel Hobbies », « That Time Of The Night », le déchirant « Going Under », au travers de l’histoire de « Torch », l’alter ego qu’il s’est créé pour cet album.

Et si les titres « Just For The Record », « Slainte Mhath », « Torch Song » ou « The Last Straw » semblent être plus légers, ce n’est qu’en apparence car Fish leur associe des textes cyniques sur les rêves brisés et la désillusion. Même la belle balade « Sugar Mice » n’échappe pas à la règle avec ses paroles évoquant la fin d’une histoire d’amour. Marillion nous offre avec Clutching At Straws un quatrième album impressionnant au vu des circonstances dans lesquelles il a été composé et enregistré, une perle noire remplie de rage contenue et de rancœur palpable. Après Misplaced Childhood, le groupe signe un nouveau chef d’œuvre indispensable qui marque la fin de l’ère Fish de la plus belle des façons.

Clutching At Straws laisse, si on se donne la peine de l’écouter attentivement et avec un minimum de bonne foi, deviner les prémices de l’évolution musicale à venir sur « Season’s End«  et n’en déplaise à certains, Marillion n’a pas changé avec le départ de Fish, le groupe a simplement évolué vers quelque chose de plus moderne et cela sans perdre son identité.

Pour conclure cette chronique et la période Fish de Marillion, je pense (et cela n’engage que moi) que si le bucheron écossais était resté avec le groupe, celui-ci se serait enfermé dans un rock progressif daté qui aurait entrainé la mort lente du quintet. J’en veux pour preuve la carrière solo du poisson qui a poursuivi dans cette voie et qui a perdu ses fans, qui ne juraient pourtant que par lui, mais qui l’ont lâchement abandonné au fur et à mesure pour cause d’albums poussifs (à quelques exceptions près) et obsolètes avant même d’être sortis.

Alors que beaucoup pensait que Marillion ne se remettrait pas de cette séparation, le groupe nous reviendra avec un excellent « Season’s End« , mais ça, c’est une autre histoire !

Formation du groupe

Fish : chant - Mark Kelly : claviers - Ian Mosley : batterie - Steve Rothery : guitare - Pete Trewavas : basse

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