Masal

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(5 sur 5) / Autoproduction
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Rock Progressif

De tous temps j’ai recherché les perles rares musicales en dehors des « autoroutes » bien balisées et rassurantes. En effet, la musique, tous genres confondus, abonde de chefs d’œuvre, sinon de pièces de haute qualité, connues d’un nombre restreint d’amateurs. Il faut juste se donner les moyens de découvrir et y passer un peu de temps. En clair il ne faut pas toujours chercher ses clés perdues (de sol, de fa, d’ut parfois) sous le lampadaire ! Aussi, pour une chronique dite « rétro » dans nos pages, il y avait déjà un moment que je caressais l’idée de parler d’un musicien tout à fait étonnant, à savoir Jean-Paul Prat et de son premier album Masal, une de ces perles musicales mentionnées plus haut. Pianiste de formation, mais aussi guitariste et batteur, J.P. Prat se révèle avant tout un grand compositeur comme l’atteste ce premier album sorti en vinyle en 1982 et qui propose une longue suite éponyme de 42 minutes. Une seconde naissance en 1995, avec la réédition en CD par Muséa, verra un ajout de 4 pièces supplémentaires qui n’ont rien de bonus de remplissage, je vous l’assure.

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Procédons avec ordre et méthode et passons un peu de temps sur la longue suite symphonique précitée, véritable cathédrale sonore pour 14 musiciens, dont un groupe fourni de cuivres, flûtes et sax, et pas moins de 3 guitaristes. Le premier tableau démarre sur des sonorités inquiétantes de basse, presque incommodantes, et la batterie déchaînée n’améliore pas ce sentiment d’insécurité, jusqu’à la constitution du thème porté par les cuivres / sax, tout en grandeur même si l’ensemble reste volontairement sombre. Au bout de 5mn un grand calme musical surgit avec un piano qui alterne deux accords, l’un majeur, l’autre mineur. Tandis que le son prend du volume avec l’entrée de la batterie et de la basse, l’ambiguïté tonale perdure. Le crescendo débouche sur un troisième tableau (après 9 minutes) d’inspiration jazz-rock, moment incandescent ! Après un climax (11’43), une infime respiration amène sur un mouvement également jazz-rock, mais solaire et dansant, où les harmonies sont assagies … Changement brutal de rythme (13’27) qui devient indolent avant de laisser place à de longs accords de piano sur un ostinato de notes répétées à la guitare. Apparaît alors un très beau thème qui monte dans un grand crescendo avant un nouveau climax (18’10). Le tableau suivant, débute façon new age : on appréciera les consonances / dissonances distillées par le clavier, puis l’apparition d’un court choral aux cuivres précédant un moment très poétique et d’une belle sérénité. Une nouvelle rupture rythmique (un peu avent 26’) nous amène sur un de mes passages préférés dans cette abondance musicale : si la flûte chante, que dire de la basse ? Et bien elle danse ! Mais ce beau mouvement pastoral et bucolique ne s’éternise guère, et alors qu’il s’éloigne et s’éteint doucement – on pourrait croire à la fin de la suite (28’53), de puissants accords répétés interrompent la rêverie et les cuivres s’emparent à nouveau de la musique. Le piano lance alors un puissant mouvement de gigue avant un dernier moment de calme et de sérénité emmené par la flûte et la guitare. Quelques enchainements d’accords grandioses, un souffle gigantesque (explosion ? turboréacteur avec post-combustion ?) clôt l’affaire. Ite lissa est ! Quelle claque que ce grand mouvement symphonique, et quelle maturité musicale chez ce jeune musicien qui amalgame les styles : classique, rock, jazz, folk … avec une maestria assez bluffante. Bref, Masal, l’étoile des hébreux, brille de tous ses feux !

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Remettons-nous un instant et abordons les fameux bonus, proposés en ordre de durée décroissante. Voici tout d’abord, « Maran Atha – Selah » – je vous renvoie à vos études bibliques et à vos connaissances en araméen et en hébreu pour décrypter la portée de ce titre. Il s’agit à nouveau d’un morceau très développé, dont le thème d’intro au piano est superbe. Fidèle à son titre, ce morceau est d’abord une longe exclamation, suivie d’un mouvement très lent et un peu pesant, et qui se termine sur une note d’une superbe musicalité par l’emploi d’un piano aérien et d’un thème en tous points magnifique. Le sax est décidemment un instrument clé de cet album, ce qui se confirme sur le bondissant et jazzy « Messagers de Notre-Dame ». J.P. Prat y manie rythmes complexes, mélodies enthousiastes, et constructions harmoniques sophistiquées comme personne.

La « Valse Funèbre » tranche avec la jubilation de ce qui précède, et si le rythme ternaire marqué par le piano confirme la dénomination de mouvement de valse, le côté pesant du morceau n’évoque en rien cette danse de salon au sens habituel du terme. La musique, beaucoup plus introspective, prend une dimension pesante et inéluctable, assez inhabituelle sur cet album.

Vous avez-dit jubilation ? « Origines – seconde partie », construit avec une rare économie de moyens, est un petit bijou en ce qui me concerne : un improbable canon perpétuel entre les voix féminines et masculines pour un cantique solaire proprement jouissif ! Renseignements pris auprès du compositeur, ce morceau comportait bien une première partie. L’ensemble avait été conçu en 1989 pour introduire une sorte de comédie musicale intitulée Révolutions. Bien pensé que cette fin libératoire !

Le prix de l’originalité c’est la difficulté à classer la musique de Jean-Paul Prat / Masal (certains ont essayé, ils ont eu des problèmes …). Il faut dire que notre époque adore classer pour comprendre, quand il faudrait plutôt comprendre avant de (tenter de) classer ! En ce qui me concerne, une telle démarche musicale me semble relever de la musique classique dit moderne / contemporaine. Il y a indéniablement une Vision dans cette musique, et la suite de la carrière du musicien lyonnais ne le démentira pas. Jusqu’au dernier album sorti à ce jour, Ahora, il déploie un univers musical très personnel, d’une créativité et d’une poésie peu communes. Voilà une bonne opportunité de se pencher sur la discographie, rendue récemment aisément disponible (*), d’un musicien dans l’âme et dans les doigts. Masal est une œuvre majeure dans l’histoire de la musique progressive, c’est pour moi une évidence, tout simplement !

(*) https://masal.bandcamp.com/music

Formation du groupe

Jean-Paul Prat (composition, batterie, piano, chant, percussions, trompette) Hervé Gourru (basse - 1) Viviane Galo (piano, chant - 1) Jean-Jacques Willig (piano, synthétiseurs - 1,2) Norbert Galo (guitare -1) Carlo Grassi (guitare -1,2,3) Alain Escure (guitare) Richard Héritier (saxophones, flûte, chant) Georges Rolland (saxophones -1) Richard Negro (trompette -1) Gilles Morard (trombone -1) Bernard Morard (cor français-1) Gérard Geoffroy (flûtes, quena, flûtes de pan -1) Éric Duval (percussions -1) Jean-Pascal Boffo (basse -2) Jean-Pierre Comparato (basse -4) Thierry Deverrewaere (chant -5) Sylvie Prat (chant -5) Betty Lefèvre (chant -5) Nathalie Seauve (chant -5)

🌍 Visiter le site de Jean-Paul Prat →

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4 sur 5

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