Si nombre de compagnies aériennes américaines n’offrent pas de rangée 13 dans leurs avions, et vous ne trouverez pas non plus de 13ème étage dans les gratte-ciels américains, Alessandro Di Benedetti n’a pas cédé à cette triskaïdékaphobie puisqu’il nous sert ici l’opus 13 de son Inner Prospekt. Après le futuriste et étonnant Grey Origin, puis le symphonique et somptueux Canvas Three, le maestro nous propose selon une régularité métronomique un nouvel album. Pour cet Unusual Movements, vous ne serez pas surpris de la liste des usual suspects qui accompagnent le virtuose des claviers, à savoir Frederico Tetti, Rafael Pacha, Marco Bernard, Daniele Vitalone, Carmine Carpasso et Giuseppe Miletello. Tiens donc, avec ce dernier je note le retour du saxophone. Je note aussi que les morceaux avec chant sont majoritaires, et chantés par Alessandro lui-même.
En guise d’antipasti une courte intro en duo claviers / basse, plus la batterie jouée également par Alessandro permet de se régaler d’une belle ligne mélodique, lancée par la basse et poursuivie aux claviers, dont un joli mouvement central au piano rythmé en 7/8.
Premier plat de résistance, « Mantra », revient sur la sombre et étrange période du covid. La voix d’Alessandro sur un ton désabusé essaie tout au long du morceau de nous convaincre que Tout ira bien … Sons électroniques, motifs rapide au piano et sax lancinant donnent un côté hypnotique à cette musique très expressive qui va crescendo jusqu’au climax des 3’30. Reprise en douceur avec le chant, puis un magnifique duo sax et claviers, rythmé par le tic-tac de la batterie, apporte un mélange de mélancolie et d’un peu de lumière. Le passage au piano solo vers 9’30 dans un style jazz / romantique est une autre petite perle de lumière dans cette grande fresque. La voix tantôt grave tantôt aigüe de la guitare de Frederico Tetti qui lance le final où le chant d’Alessandro prend cette fois de la hauteur, avant de relance l’obsédant tic-tac du temps qui semble ne pas avancer …
Beaucoup d’émotion et de retenue dans « Winter Day », une ballade triste en forme de lettre d’un père à son fils, inquiet (le mot est faible) de l’héritage laissé à sa descendance doublée d’une demande de pardon. Une belle mélodie, parfaitement harmonisée comme toujours, et en arrière plan, Marco Bernard assure le continuo.
Deuxième morceau de bravoure de l’album, « Nerveland » reprend la composition effectuée pour l’album de Marco Bernard, The Boy Who Wouldn’t Grow Up, sous l’astucieux titre « Never Never Land ». Il s’agit d’une œuvre assez typique du style symphonique de l’italien : thèmes grandioses et lyriques, contrastes sonores allant du classicisme au jazz rock (cf. à partir de 5’), une écriture virtuose et dynamique, bref une vision qui rappelle celle de Tony Banks. Point de grand orchestre symphonique ici, mais seulement deux musiciens accomplis, Rafael Pacha et Alessandro di Benedetti, pour jouer cette intense partition !
« Just Five Minutes », dont le titre ment un peu quant à la durée du morceau, me ramène aux bons moments de guitare de Larry Carlton ou de Lee Ritenour, avec ce qu’il faut de piano électrique et de sax pour ce morceau jazzy aux sonorités intemporelles.
« Around The Corner » est une autre des ces grandes fresques chargées de grandeur et d’émotion dont Alessandro maîtrise totalement le développement. Le retour sur ses interrogations de jeunesse permet au musicien de développer au piano de magnifiques images sonores, que ce soit le thème de l’introduction, ou plus loin dans un passage alerte et aérien. Au centre du morceau, le retour à l’atmosphère très poétique du début permet une respiration avant de lancer un long final enjoué et proprement grandiose. Je ne peux m’empêcher de faire ici le parallèle avec « One For The Vine » de Tony Banks / Genesis. C’est dire tout le bien que je pense d’« Around The Corner ».
Très différent du précédent, « The Question » s’étire lentement sur l’obsédant motif de la guitare acoustique de Carmine Capasso. Mais cette ambiance floydienne est soudain rompue par un puissant solo de guitare électrique cette fois, très expressif et lyrique. Le morceau s’achève dans une brume musicale sereine et dépouillée.
En guise de bonus, « Living Like A Looner » revisite la musique de « Neverland » sur un rythme syncopé des plus plaisants. J’adore ce côté latin music nonchalant et enjoué, avec toute l’ambigüité que peut prendre ici cette terminologie !
Musicien dans les doigts (sans oublier la voix) et dans l’âme, Alessandro di Benedetti ajoute une pierre supplémentaire à son Inner Prospekt, et on le sait, en matière de construction les Romains savent y faire ! Unusual Movements (*) est un nouveau merveilleux recueil d’histoires en musique, savamment écrites et superbement réalisées.
(*) https://innerprospekt.bandcamp.com/
Formation du groupe
Alessandro Di Benedetti : claviers et samplers, chant, batterie - Avec: - Rafael Pacha : guitare - - Federico Tetti : guitare - - Carmine Capasso : guitare - - Marco Bernard : basse Shuker - - Daniele Vitalone : basse - - Giuseppe Militello : saxophone
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