Last night a DJ saved my life.
Qu’est ce qui fait qu’un album de Rock Progressif va déclencher un réel intérêt? Quels sont les ingrédients qui pourraient en faire un disque de chevet? Dans mon cas, s’il s’articule autour d’un concept solide (histoire, style ou autres), s’il contient un ensemble de titres cohérents ayant chacun sa propre personnalité, s’il fait démonstration d’un minimum de prouesse musicale, et si en plus il raconte une histoire se déroulant dans un monde imaginaire ou futuriste, alors Bingo! Je dois admettre que la nouvelle livraison de Frost* répond quasiment point pour point à toutes ces attentes. J’avais beaucoup aimé le précédent album ‘Day And Age’ publié en 2021, en faisant même une de mes galettes préférée de l’année. Trois ans plus tard, c’est avec excitation et anxiété que je presse la touche Play de la nouvelle livraison du groupe Britannique : ‘Life In The Wires’. Souvenez-vous, à la fin du disque précédent, sur le dernier titre “Repeat to Fade”, on entendait une voix questionner “Can you hear me?” sur un fond sonore de signal radio brouillé. Ceci était en fait l’incursion prémonitoire du personnage principal de ce nouvel album. En reprenant exactement ce même petit extrait sonore sur la première piste “Skywaving”, le groupe réalise un lien génial (et tout de même un peu anticipé) entre ces deux objets discographiques. Désireux de réaliser leur double album dans la pure tradition Progressive, Frost* nous embarque dans un voyage de 1 heure et 25 minutes en 14 titres qui raconte l’histoire de Naio, personnage principal évoluant dans un monde dirigé par l’Intelligence Artificielle. Celui-ci capte un jour la voix d’un DJ nommé “Livewire” sur un vieux poste radio offert par sa mère, et décide de partir à la recherche de la source de ce signal. Il engendre ainsi la colère d’un genre de “Big Brother” appelé “All Seeing Eye” qui met tout en œuvre pour avorter cette tentative.
Piste d’introduction, “Skywaving” plante le décor sur un motif de claviers et une orchestration qui s’enrichit peu à peu pour accompagner la chaude voix de Jem Godfrey. Vers la fin, le motif évolue en évoquant “Tubular Bells” et fait le lien avec “Life in the Wires (Part 1)”. Du pur Frost* avec ses impressionnantes démonstrations de claviers et de guitares, sa richesse harmonique, et son efficace refrain. Autant ‘Day And Age’ avait fait le choix de ne proposer aucun solo afin de mettre l’accent sur l’écriture et les arrangements, autant le groupe propose ici une séance de rattrapage avec envolées de guitare et de claviers de grande classe. Un piano vient calmer l’ambiance à la toute fin du titre pour faire l’enchainement avec “This House of Winter”, durant lequel notre personnage Naio se remémore son père. Le titre navigue entre ambiance piano-voix, quelques touches jazzy, longs développements instrumentaux et Heavy Prog à l’occasion du fantastique solo de guitare.
“The Solid State Orchestra” est à nouveau un petit bijou Prog marqué par son enchaînement d’accords dans un style presque Fusion, ses ruptures de style, son développement narratif via un chant particulièrement expressif et ses changements d’ambiance parfaitement calibrés qui touchent parfois au Prog des années 80. Sur “Evaporator”, c’est la voix du DJ “Livewire” qui nous accueille. Je ne sais pas si c’est volontaire, mais ce dernier m’a fait penser au “Central Scrutinizer” du ‘Joe’s Garage’ de Frank Zappa, ce qui m’a bien amusé. “Strange World” est une superbe ballade qui prend son temps et son espace dans un style musical fin des années 70. La mélodie est encore imparable, et l’ambiance devient plus inquiétante par endroits, comme pour marquer le fait que le “All Seeing Eye” ait remarqué l’évasion de Naio. Place au Heavy Prog, voire Metal sur “Idiot Box” où la guitare riffe à tout va, et où les choses semblent se gâter pour notre protagoniste. Délicate pièce de musique portée par le piano, les orchestrations et la voix cherchant les émotions dans les aigus, “Absent Friends” clôture le premier disque.
Titre de présentation du personnage maléfique de l’histoire, “School (Introducing the All Seeing Eye)” est un instrumental (même s’il est accompagné d’une tartine de paroles dans le livret…un exemple de l’humour British du groupe) qui colle parfaitement au thème avec un accompagnement qui penche du côté de l’Indus. Avec “Propergander”, la guerre est déclarée via une musique martiale, peu syncopée, mais parfaitement arrangée façon Bande Originale de film. Cordes en avant, “Sign of Life” voit Naio atteindre la source du signal du “Livewire” et être confronté à la déception. Emotion parfaitement exprimée par les arrangements orchestraux et les percussions tribales. Rythmique tordue et retournement de situation sur “Moral and Consequence”, nouveau morceau de bravoure de l’album qui fait la part belle aux développements instrumentaux sur sa seconde partie. Alors qu’on pensait la messe dite, les 15 minutes de l’Epic “Life in the Wires (Part 2)” viennent nous achever en beauté sous la forme d’un générique de fin à la manière de l’orchestre de cœurs solitaires du Sergent Poivre, et rappelant ‘Milliontown’, premier album du groupe. Comment conclure? Dans l’ambiance éthérée du début de “Starting Fires”, genre de renaissance du personnage, qui évolue ensuite dans un style Pop à la Tears For Fears ou Talk Talk. Le tout s’achève sur un clin d’œil avec le retour du “Can you hear me?” accompagné de son signal radio toujours plus brouillé.
Album riche, ambitieux, cohérent, exigeant, brillant, sublimé par une production de haute qualité, ‘Life In The Wires’ de Frost* est une très belle réussite progressive qui mérite qu’on s’y attarde.
Formation du groupe
Craig Blundell : Batterie - Jem Godfrey : Claviers, Guitare, Voix - Nathan King : Basse, Voix - John Mitchell : Guitares, Voix