Voici enfin le digne successeur au magnifique ‘A Day at the Beach’ de 2020. Airbag est de retour en 5 titres et 46 minutes avec l’album ‘The Century of the Self’. Le groupe norvégien affirme encore un peu plus sa personnalité avec cet album en proposant une musique d’apparence simple mais dans laquelle se nichent des trésors de détails. Le style est plutôt planant et “Floyd-ien”, mais cela serait réducteur de n’en extraire que cette composante. Pour donner une image, je comparerai le groupe à un genre de sculpteur : en partant d’une matière brute très basique (dans le cas présent cela peut être un riff de deux notes ou trois accords simples), les musiciens vont peu à peu façonner une œuvre en ajoutant une multitude de détails pour lesquels chaque son, chaque note, chaque rythme est parfaitement réfléchi et travaillé. Bien entendu, l’appréciation de l’intégralité de la dimension de l’œuvre nécessitera plusieurs écoutes afin de se familiariser avec les structures et d’en apprécier chaque recoin.
Le premier morceau “Dysphoria” est un parfait exemple de la méthode du groupe pour créer un build-up impressionnant. Le socle de base est constitué par un riff de guitare de 3-4 notes seulement, puis l’entrée de batterie nous fait réaliser que ce riff était en fait joué à contre-temps. Bien vu. C’est très aéré, le développement prend vraiment son temps via l’ajout de discrètes nappes de claviers, puis l’entrée du chant de Asle Tostrup, si caractéristique, donne une fausse impression de fragilité. L’ensemble est complété par quelques accords tranchants sortis de la guitare de Bjørn Riis, et les premières notes de basse ne surgissent qu’au bout de 2’40, imprimant alors un nouveau groove au titre. La musique gagne en épaisseur jusqu’au pont marqué par un son de basse aussi gras qu’un foie de canard trop nourri au grain, et une rythmique de batterie qui évoque à un certain moment le “Sabotage” des Beastie boys. Sur la fin du morceau c’est de nouveau la basse, dont la sonorité est redevenue parfaitement ronde, qui donne une nouvelle orientation au titre en le rendant plus lumineux et permettant quelques incisions de guitare.
A ce stade, un mot sur la thématique de l’album : présentant une image peu enthousiasmante de notre époque, les paroles évoquent l’influence des technologies sur nos modes de vie, la cancel culture, la réécriture d’histoires personnelles et notre dépendance à cet environnement. Celle-ci est parfaitement appuyée par la musique du groupe qui sait développer des atmosphères parfois inquiétantes, voire déprimantes, ou bien ouvrant à la réflexion.
“Tyrants and Kings” est porté par une approche plus dynamique à la sonorité un peu plus synthétique menant à un refrain particulièrement efficace. Une nouvelle fois, on trouve sur le pont des sonorités remarquables, ouvrant la porte à une seconde partie qui s’enrichit harmoniquement jusqu’au traditionnel solo de guitare final.
Le mood de “Awakening” est donné par la guitare acoustique, sur lequel on retrouve les marqueurs connus du style d’Airbag. Petit bijou de raffinement musical, il est aussi un appel à la vigilance, en particulier sur le refrain (“Wake up and feel again” / “Réveille toi et ressens à nouveau”).
La recette de construction musicale est à nouveau appliquée sur “Erase” qui débute par un plan de basse presque mono-note enrichi peu à peu par les différents instruments (notez l’admirable placement rythmique), le tout parfaitement servi par une production haut de gamme. Le refrain me semble malheureusement un peu faible en comparaison avec le reste de l’album, et c’est bien le seul petit reproche que je trouve à faire à l’ensemble du disque.
Une fois n’est pas coutume, c’est la batterie de Henrik Bergan Fossum qui ouvre la dernière piste “Tear it Down” et ses 15 minutes de développement somptueux. Le chant y est particulièrement habité, les sons de claviers sont soyeux à souhait, et les montées en intensité sur le refrain sont des parfaites relances pour conserver la dynamique tout le long.
La frontière est mince entre simplicité et facilité. A ce petit jeu, Airbag s’en sort haut la main en proposant avec ‘The Century of the Self’ un album qui parvient à aller à l’essentiel, masquant un grand volume de travail sous une fausse évidence et dont l’écoute répétée ne fait que révéler la brillance. Dès le 14 Juin, le disque sera disponible sur toutes les bonnes plateformes, et devrait mettre en lumière ce groupe talentueux.
Formation du groupe
Asle Tostrup : Voix, Claviers Henrik Bergan Fossum : Batterie Bjørn Riis : Guitare, Basse, Claviers