Pink Floyd at Pompeii - MCMLXXII (2025 Mix)

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(5 sur 5) / Sony Music
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Rock Progressif Rock Psychédélique

Il faut avoir arpenté la splendeur silencieuse, lourde de mémoire, des rues de Pompéi pour prendre pleinement la mesure de l’émotion qui étreint le réalisateur écossais Adrian Maben en ce début des années 1970. Et lui inspire cette idée géniale : proposer à Pink Floyd de jouer dans les ruines de la cité antique, au centre du majestueux et solennel amphithéâtre d’une capacité de 20 000 spectateurs et qui demeure à ce jour le plus ancien de l’Empire romain. Cette performance est enregistrée et filmée pour construire une œuvre non seulement visionnaire – puisque conjuguant musique, cinéma et histoire de manière immersive – mais également audacieuse – car sans public (longtemps vue à ce titre comme un anti-Woodstock), se concentrant sur une expérience sonore intime et réfléchie. La musique de Pink Floyd, spatiale, lente et hypnotique, semble suspendue dans le temps. Les notes qui s’égrènent vers l’infini, les échos et autres effets de réverbération créent une sensation d’immensité et de vide habité, une ambiance mystique et méditative, à l’image du silence éternel des ruines de Pompéi, lieu empreint de sacralité. Les morceaux retenus, qui abordent des thèmes tels que la mémoire, le cosmos ou encore l’effondrement, trouvent de facto un écho naturel en ces lieux symbolisant la fragilité humaine et l’impermanence. Si le projet de ce ‘Live at Pompeii’ élève la musique au rang d’art cinématographique, il permet surtout au groupe britannique de se débarrasser de ses oripeaux psychédéliques et de gagner ses lettres de noblesse en se positionnant comme un groupe d’avant-garde, démontrant par la même occasion une maturité nouvelle, avec cette capacité à improviser et expérimenter, transfigurant ses propres compositions. C’est d’ailleurs une période charnière pour le groupe, qui est déjà en train de travailler à l’enregistrement de ‘Dark Side of the Moon’, ce concert faisant dès lors figure de passerelle directe vers leur âge d’or (le titre « One of These Days » retenu ici préfigure d’ailleurs très clairement l’esprit et la direction musicale de cet album en gestation).

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Les sessions in situ du ‘Live at Pompeii’  sont enregistrées en quatre jours, début octobre 1971, soit quelques semaines avant la sortie officielle de l’album ‘Meddle’, dont plusieurs extraits sont retenus, parmi lesquels la magnifique pièce à tiroirs « Echoes », annonçant le virage vers un rock progressif et une approche conceptuelle plus prononcée, découpée ici en deux temps (ouvrant et clôturant le Live). « Pompeii intro » crée immédiatement une tension sourde, avec cet hypnotique battement, tel le pouls du Vésuve, et ces cymbales qui, dans leur résonance prolongée, semblent évoquer un souffle lointain et accentuent l’atmosphère prémonitoire de la tragédie en devenir. La musique de « Echoes – part 1 » prolonge cette sensation inquiétante avant de se déployer lentement, semblant interroger non sans mélancolie l’énigme du destin de Pompéi (« And no one knows the where’s or why’s / Et nul ne sait où ni pourquoi »). La lente montée en puissance de « Careful with that Axe, Eugene », avec ses sonorités envoûtantes et obsédantes, semble provenir des profondeurs telluriques, conférant à l’ensemble une dimension quasi chamanique. La voix, d’abord chuchotée, s’élève progressivement dans une inquiétude grandissante, annonciatrice de la catastrophe imminente, créant une ambiance presque surnaturelle, jusqu’à ce cri glaçant, dernier avertissement avant l’inéluctable. « A Saucerful of Secrets » s’apparente à un maelstrom de bruit, de dissonance et d’intensité envahissant Pompéi à l’image de ces nuées ardentes qui ensevelissent la ville sous une couche de cendres et de débris volcaniques. La structure chaotique du morceau et les explosions sonores amplifient la sensation de confusion et de tension. La frappe de batterie associée aux vibrations du gong semble incarner l’imprévisibilité et la violence de l’éruption du Vésuve, nous plongeant dans cette sensation de fin du monde, avant une solennelle reprise à l’orgue, évoquant le calme sur cette plaine solidifiée après le cataclysme. Le rythme lourd et les sonorités graves de « One of These Days », au titre prophétique (« Un de ces jours »), paraît illustrer cette menace omniprésente et rappelle que la ville de Pompéi vivait dans l’ombre du volcan. Il est d’ailleurs avéré qu’une violente secousse sismique avait déjà causé d’importants dégâts à Pompéi et dans d’autres villes de la région une vingtaine d’années auparavant, mais ces signes étaient souvent interprétés de manière mythologique ou mal compris par les habitants. 

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« Set the Controls for the Heart of the Sun », incroyablement cinématique, semble symboliser la découverte de Pompéi, effacée de la mémoire des hommes pendant plus de quinze siècles et enfin révélée dans toute sa splendeur. Cette renaissance revêt une dimension mystique, et l’on comprend mieux le choix dans le film de retenir pour cette séquence la fascinante fresque en trompe l’œil de la Villa des Mystères, illustrant un rite initiatique, probablement lié au culte de Dionysos. Avec « Echoes – part 2 », ce sont les voix fantomatiques des habitants de Pompéi qui s’élèvent, surgissant d’un silence séculaire et redonnant vie aux souvenirs enfouis sous les cendres. L’album est complété par deux bonus, une prise alternative de « Careful with that Axe, Eugene », avec une plus grande présence des claviers, colorant la composition d’une dimension plus prog, et une version « non éditée » de « A Saucerful of Secrets » offrant environ deux minutes supplémentaires par rapport à la version originale.

Cette nouvelle version audio de l’album, qui accompagne la restauration du film par Lana Topham, a été entièrement remixée par Steven Wilson. Il s’agit ici d’un mixage audio multi canaux en stéréo, 5.1 et Dolby Atmos (parfaitement approprié au regard de la dimension immersive de l’album), à partir des bandes multipistes originales. Wilson, désormais rompu à cet exercice – rappelons qu’il a notamment travaillé sur plus d’une quarantaine d’albums emblématiques de l’histoire du rock progressif, de Yes à King Crimson en passant par Jethro Tull, ELP, Caravan ou encore Gentle Giant – est parvenu à dépoussiérer magistralement l’ensemble, préservant la dynamique mais éliminant le brouillard sonore et apportant des améliorations subtiles sans trahir l’âme des compositions. Les morceaux de Pink Floyd respirent mieux et les nuances sont mieux restituées. Wilson, qui est d’abord un passionné et dont on connaît la profonde admiration pour toutes ces œuvres magistrales des années 70, redonne vie à ce ‘Live at Pompeii’, nous permettant de redécouvrir ce disque essentiel avec un son en phase avec les exigences audiophiles actuelles. Absolument indispensable.

Formation du groupe

David Gilmour : guitares, chant - Nick Mason : batterie - Roger Waters : basse, chant - Richard Wright : claviers

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Self

Par Fernando Perdomo

4 sur 5

Commentaires

  1. J’ai hâte de revoir cette nouvelle version. J’avais vu la version originale à sa sortie et, malgré quelques critiques à l’époque, cela reste un moment important pour l’intronisation du Rock progressif dans l’univers des Pink Floyd. Incontournable !

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