Siempre

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(5 sur 5) / Autoproduction
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Instrumental Rock Progressif Rock Symphonique

Deux ans après le magnifique Ahora, Jean-Paul Prat et son Masal reviennent sur le devant de la scène avec l’astucieusement nommé Siempre. Ahora, écrit pour piano ensemble rock, bois et percussions, se trouve ici en quelque sorte amplifié par la présence d’une section de cuivres, ce qui ajoute des couleurs supplémentaires à une musique qui en est déjà bien pourvue ! Définir la musique de Jean-Paul Prat n’est pas chose aisée tant l’homme se place sur la ligne de partage des eaux de nombreux océans musicaux. Pianiste de grand talent et de grande sensibilité, il est surtout un musicien / compositeur qui manie les masses sonores et l’écriture avec un rare bonheur. Réécoutez donc le Masal de 1982 (et sa réédition augmentée de 1995), tout y était déjà présent ! L’une des nombreuses caractéristiques de sa musique est l’ajout de dissonances, et certains morceaux flirtent nettement avec la polytonalité.

« TGV pour Paradis », quoi de mieux qu’un morceau latino véloce pour lancer l’album ? La section cuivre et saxs se charge de la mélodie, la rythmique basse / batterie constitue le moteur de cet attelage lancé à toute allure, et le piano et ses accords alternés maintiennent le tout ensemble ! Si on connait la destination finale de ce TGV, j’avoue que j’aimerais connaître sa gare de départ et tant qu’à faire les horaires de passage ! Si rien ne sert de courir, cet éloge musical de la vitesse est tout de même un beau moment de douce folie.

A peine moins véloce mais plus du tout latino, « Feu » jaillit de la profondeur des sons graves et de l’incessant martèlement des accords piano. Une lente montée chromatique nous fait gagner un peu d’altitude et se stabilise sur un net ralentissement pour laisse parler une guitare grinçante. Nouvelle poussée rythmique et montée chromatique et cette fois-ci c’est le pianiste qui se met (très) légèrement en avant. Mais le feu n’a pas encore livré toutes ses escarbilles et volutes embrasées : la coda nerveuse est là pour nous le rappeler !

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« Danse de l’eau », voilà qui sonne a priori comme une musique plus apaisée. L’intro met en scène un très beau thème mélodique au sax, bientôt rejoint par le hautbois, le tout sous les coups de la grosse caisse dont les contretemps nous plongent dans une relative incertitude rythmique. Viennent ensuite des accords de piano entrecoupés de courts silences qui servent d’assise à cette danse syncopée à huit temps. La coda reprend dans le mouvement initial et cette fois c’est la clarinette qui ouvre le bal, rejointe par ce qui me semble être le hautbois (pas toujours aisé d’identifier les bois en particulier dans les tessitures aigües). Pas de doutes cependant en ce qui concerne le basson qui arrive à point nommer pour terminer cette gracieuse danse fort bien écrite !

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Pour le long « Isami », le piano est cette fois nettement mis en avant. Il s’agit d’un grand poème écrit principalement pour le piano et le saxophone, et baigné de bout en bout d’une douce lumière dans lequel le compositeur laisse ses doigts décrire son monde intérieur d’une bien belle manière. D’une écriture relativement dépouillée, la musique se déroule sereinement autour d’une très belle mélodie et des accords harmonieux du piano, pimentés tout du long d’une petite ritournelle du plus bel effet.

« Des flots d’eau vive » prolonge et étire davantage cette magnifique atmosphère musicale. Cette grande fresque sonore débute par un ostinato de 4 notes au piano d’allure modale servant de tapis sonore aux différents bois. La musique se libère peu à peu pour culminer (aux alentours de 4’), et laisser le piano solo terminer cette première section. Nouvel ostinato de piano avec cette fois de rapides sextolets, et un choral très expressif se met en place. Toujours dans le même rythme, la section centrale offre quelques harmonies un peu assombries dans une dominante mineure, et à nouveau le piano ramène le tout vers un peu plus lumière. Si vous êtes attentifs vous entendrez le tintement de cloches du xylophone. Un dernier climax et la coda reprend le magnifique mouvement d’introduction qui s’éloigne peu à peu …

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De façon pour le moins inattendue, mais pourquoi pas après tout, le musicien termine l’album par une adaptation très personnelle de « La Marseillaise ». Ce chant révolutionnaire chargé d’histoire et de passions n’offre pas un thème musical aisé à adapter. Certains se souviendront peut-être de l’orchestration qu’en fit Hector Berlioz. Grandiose dans sa réalisation pour solistes, chœur et orchestre, mais harmoniquement assez convenue. Bon, nous sommes en 1830 ! Loin de cette grandiloquence, Jean-Paul Prat confie pudiquement la mélodie au bugle. Celui-ci la décline dans sa forme originelle, sans fioritures, mais accompagnée par des accords aux pianos qui font clairement dans la polytonalité et réalisent un tapis harmonique qui, sans être franchement dissonant, semble constamment décalé par rapport à ce dont nos oreilles ont l’habitude. Après l’exposition du thème, la seconde variation laisse le champ libre au soliste pour reprendre la mélodie considérablement modifiée et amplifiée, façon choral orné de Bach. Les accords du piano se font un peu plus jazzy et aériens. Voilà un morceau surprenant et tout à fait savoureux.

Voilà pour ce bref survol de ce nouvel album pour lequel pas moins de 15 musiciens entourent le pianiste et se répartissent les différents pupitres. Sauf erreur, il faut remonter au cathédralesque Masal des années 80 pour retrouver une musique faisant appel à une telle profusion instrumentale. L’indéniable virtuosité des intervenants se fond admirablement dans un collectif cohérent, preuve d’une orchestration et d’une réalisation de haut niveau. Tempus fugit, mais le musicien lyonnais poursuit sa trajectoire musicale et sa musique, tour à tour symphonique, lyrique, intimiste sinon mystique et même patriotique (!), et bien d’autres choses encore, possède le secret de l’éternelle jeunesse ! Je trouve que Siempre (*) résume à merveille tout l’art musical de Jean-Paul Prat. Alors, oui, Masal, Maintenant et pour Toujours !

(*) https://masal.bandcamp.com/album/siempre

Formation du groupe

Jean-Paul Prat : Piano ; claviers - Jean Prat : Batterie ; percussions ; xylophone (1,2,3,5) - Vincent Brizoux : Sax alto, soprano & baryton (2,3,4,5) - Philippe Bussonnet : Basse - Norbert Galo : Guitares électriques & acoustiques ; mandoline (1,2,3,4,5) - Emmanuel Prat : Claviers (1,2) - Baptiste Ferrandis : Guitare (1,2) - Olivier Bodson : Trompette & bugle (1,3,6) - Antoine Colin : Trompette (1) - Jan Eggermont : Sax ténor, soprano & baryton (1,2) - Marc Godfroid : Trombone (1,2,5) - Toine Thys : Clarinette basse (2) - Eva Debruyne : Hautbois (3.5) - Yann Lecollaire : Clarinette (3.5) - Stefan Bracaval : Flûte (5) - Paul Hanson : Basson (3)

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