Et le phénix de renaitre de ses cendres… Plus majestueux et mystique que jamais ! Et pourtant, franchement, qui eut parié sur un nouvel album de ce groupe culte qu’est Cynic après le décès, brutal comme prématuré en 2020, de deux membres historiques du groupe, tout d’abord le batteur Sean Reinert puis le bassiste Sean Malone.
Mais c’était sans compter sur la détermination de l’emblématique guitariste et chanteur Paul Masvidal qui, reprenant les commandes, confirmait dès avril 2021, contre toute attente, la sortie à venir d’un nouvel album. Sans doute était-ce la volonté de parachever le travail initié en 2014, puisqu’une partie des pistes de ce quatrième véritable LP était déjà en gestation à l’époque de ‘Kindly Bent for Free’, une phase qualifiée d’hyper créative par Paul. Et sans doute était-ce également l’occasion de se plonger corps et âme dans un projet cathartique, permettant d’exorciser la douleur indicible causée par la perte de ses deux compagnons de longue date. Douleur couchée sur papier entre autres dans le texte de « Aurora » (« A sorrowful parting. The karmic traces rise like weeds. Beat my body, bruise my soul. But I guess I’ll have to face it. Roll up my sleeves and face it. No mind here to erase it »). Et douleur amplifiée par le sentiment d’impuissance, notamment par rapport à Sean Malone qu’il savait en détresse et qui s’est suicidé, sentiment exprimé dans « In a multitude where atoms sing » (« One man dreams. He lives a thousand years. Of Happiness. And another dreams. Of only suffering. But they both must awake »).
Pour compléter le line-up et enregistrer cet album, Paul s’est tourné, côté percussions, vers Matt Lynch (qui avait rejoint les rangs de Cynic en 2017), un batteur au style réellement unique et décrit par le leader de Cynic comme une « fusion d’influences de musique électronique drum and bass combinées à des approches jazz/prog modernes ». Succéder à l’immense bassiste Sean Malone (au jeu si expressif) n’allait pas être chose aisée. Aussi, plutôt que de faire appel à un bassiste classique, qui ne manquerait pas d’être comparé inévitablement à Sean, le choix de Paul s’est porté vers Dave Mackay, à la fois pour les parties de basse et également pour celles de claviers, Dave étant également pianiste et, point important, passionné de Moog et autres synthétiseurs vintage. Au-delà de la propension de Dave à apporter au groupe, selon les mots de Paul, « un vaste vocabulaire harmonique jazz », c’est surtout le fait qu’il joue d’un clavier basse qui crée la rupture et a amené le guitariste à appréhender différemment les lignes de basse de Cynic.
Et le résultat dépasse les espérances. Avec « Ascension codes » le trio nous offre tout simplement l’album le plus réussi de toute la discographie du groupe. Si les rivages Death Metal de l’époque de ‘Focus‘ ont été depuis longtemps désertés on retrouve çà et là des constructions rythmiques jouissives qui n’auraient pas dépareillé sur l’album ‘Human’ du groupe de feu Chuck Schuldiner auquel contribuèrent Paul Masvidal et Sean Reinert en son temps et qui, rappelons-le, marqua une évolution plus technique et plus progressive dans la musique du groupe. Et également un clin d’œil aux nostalgiques au travers d’un distant growl sur « Mythical Serpents » (dont la démo avait été travaillée avec Sean Malone à l’époque). Mais ce que l’on retient principalement c’est que Cynic propose ici une évolution réussie de son style, étoffant sa texture musicale, explorant de nouveaux développements musicaux et privilégiant une orientation, au final, tout autant prog et jazz rock que metal, avec ce sens de la mélodie qui nous avait particulièrement séduit sur l’expérience de ‘The Portal Tapes’ (paru en 2012).
L’album est structuré autour de neuf morceaux élégamment reliés entre eux par de courts et calmes interludes musicaux, qui sont autant de transitions savamment pensées. Les compositions ne sont pas spécifiquement longues mais n’en demeurent pas moins denses, riches et racées, offrant des ruptures de rythmes fréquentes, intercalant des passages atmosphériques, multipliant les ambiances (tantôt sombres et inquiétantes, tantôt solaires et pleines d’espoir) et nous faisant voyager à travers des paysages musicaux qui sont autant de contrées étranges. Le travail de Paul à la guitare est toujours aussi phénoménal, plutôt heavy rock dans les rythmiques et intensément jazz rock dans les soli. Paul minimise l’usage du vocodeur auquel il a eu recours de par le passé, et son chant, aux antipodes des standards du genre, se retrouve mixé en retrait, conférant aux textes une dimension encore plus mystérieuse et évanescente que jamais. Les interventions aux claviers de Dave Mackay sont lumineuses et parfois réellement empreintes d’une grande poésie, comme sur « The Winged ones » , un de mes morceaux préférés de ce disque. Enfin, Matt Lynch dont on avait pu apprécier la performance sur le single « Humanoid » (2018) se révèle absolument exceptionnel, tout à la fois métronome et inventif, contribuant de par sa personnalité à l’unicité de la musique proposée tout au long de l’album. Mais surtout, l’osmose entre les trois musiciens est tout aussi naturelle que parfaite. Comme une évidence. Et là, réside peut-être la clé comme la grande surprise de cet album.
La dimension cérébrale de la musique de ce nouvel album de Cynic cadre parfaitement avec les textes de Paul qui embrassent un mélange de cosmologie bouddhiste et d’éveil spirituel couplé à des considérations métaphysiques et des concepts scientifiques. Paul confie s’intéresser depuis longtemps à ces notions, à titre personnel tout comme artistique. Il raconte notamment de quelle manière l’expérience du rituel de l’Ayahuasca (substance psychédélique ingérée dans un cadre rituel chamanique) a nourri l’inspiration du texte de « Mythical Serpents » dans lequel il fait référence à des déités sumériennes. Le ton de Ascension codes est donné dès « Mu-54* » qui ouvre l’album sur une invocation en « langage de lumière » avec ces quelques mots chuchotés par Anrita Melchisédek. L’ordre des morceaux est réfléchi et reflète le voyage cosmique entrepris par le personnage principal, les transitions entre les compositions représentant ces fameux codes (d’où les étranges combinaisons de lettres, sigles et chiffres) permettant d’accéder à cette ascension spirituelle. Paul prévoit d’ailleurs à terme de raconter l’histoire sous la forme d’un film d’animation immersif en utilisant les œuvres de Robert Venosa et Martina Hoffman, deux artistes du mouvement Réalisme Fantastique. Le cheminement intérieur partagé sur « Ascension codes » est avant tout celui de Paul, un cheminement qui l’a très certainement aidé à prendre le dessus sur l’hébétude et à trouver du sens face aux évènements qui l’ont frappé. Et c’est d’ailleurs sur une note d’espoir que se clôt l’album, avec le céleste « Diamond Light Body » qui semble indiquer, une source d’apaisement dans l’acceptation et la possibilité d’une élévation au travers de cette quête spirituelle « I won’t feed the fear. I’ll choose a different timeline. Ascend. All is flux, nothing stands still. Ascend. ».
Cynic aura publié peu d’albums depuis sa formation en 1987, par exigence très certainement. Et l’intelligence rare de ce nouveau disque, absolument essentiel dans le parcours de ce groupe culte, nous le rappelle.
Formation du groupe
Paul Masvidal : Guitares, Chant - Dave Mackay : Synthétiseur de basse, claviers - Matt Lynch : Batterie - Avec : Guitar Codes ^ Artifacts: DARK Reptilian Collective: Max Phelps DLB MetaTerrestrial: Ezekiel Kaplan TWO Soloscape: Plini Crystal Bowl Attunements: Michael Devin Voice Code Activations: Anrita Melchizedek Light Language Teachers: Amy Correia ^ Joshua Leon